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plus fière : « Je n’ai, dit-il, aucun ordre à recevoir de l’amiral Ricord agissant isolément ; s’il m’attaque, je me défendrai. Si les commandans des escadres occidentales se joignent à lui, je ne résisterai point, mais je mourrai à mon poste. » Là-dessus, après une intervention bien superficielle des ambassadeurs, le dialogue recommence entre Ricord et Miaulis. Les Poriotes, et même une partie des Hydriotes, voyant l’obstination des Russes en cette affaire, ont fait leur soumission. Miaulis est toujours sur l’Hellas avec vingt-deux de ses hommes. S’il doit rester seul, il restera seul. L’amiral russe lui adresse une sommation suprême. Cette fois la lutte est impossible ; que va répondre le vieux marin ? Son audace croît avec le péril. « Je veux bien traiter, dit-il à l’amiral Ricord, mais je ne quitterai pas mon poste sans avoir stipulé les conditions de salut pour ceux qui m’ont envoyé ici. Traitons, j’y consens. Si vous m’attaquez, je brûle la flotte. » Ricord est persuadé que c’est là une fanfaronnade : un Grec brûler la flotte grecque ! Vainement le capitaine d’un bâtiment français, informé de ce qui se passe, va-t-il trouver l’amiral russe et lui faire comprendre la responsabilité qu’il encourt ; l’amiral prend ses mesures, l’attaque va commencer. Tout à coup retentit une explosion formidable. C’est la frégate l’Hellas et la corvette l’Hydra qui viennent de sauter. Miaulis lui-même a mis le feu aux poudres, puis à travers la flamme, les débris, la pluie de mitraille, au milieu de la stupeur, au milieu de l’épouvante, il s’est jeté dans un canot avec quelques-uns de ses compagnons, a traversé la ligne russe et gagné le port d’Hydra.

Tel était le crime du vieil amiral Miaulis. Le destructeur de la flotte nationale fut voué d’abord à l’exécration publique ; bientôt pourtant la nation vit là autre chose qu’un acte de fanatisme sauvage, elle admira la patriotique énergie du vieux marin. Qu’étaient-ce que l’Hellas et l’Hydra ? Des murailles de bois. Il y avait une autre Hellas, une autre Hydra, faites de murailles vivantes et dont la catastrophe du 13 août attestait la force indomptable. Une flotte détruite, une nation sauvée, c’était un naufrage victorieux. Poros fut célébré par la Grèce de 1831 « comme la nouvelle Salamine contre laquelle s’était brisée la tyrannie d’un nouveau Xerxès[1]. »

Le crime des Mavromichalis n’a pas ce caractère grandiose. Il se rattache pourtant à des origines analogues, et, bien qu’on ne puisse l’excuser, on y retrouve, comme dans la destruction de la flotte nationale à Poros, un mélange extraordinaire d’énergie barbare et de souvenirs antiques. Les Mavromichalis appartenaient à

  1. Je cite ici l’historien allemand Gervinus, à qui sont empruntés plusieurs traits de ce récit. Voyez, dans la consciencieuse traduction de M. J. F. Minssen, Histoire du dix-neuvième siècle depuis les traités de Vienne, t. XXII, p. 283.