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abrégée par la mort. Le musée de Clermont contient cependant un projet de monument par Antonin Moine, dont le choix aurait été préférable, car l’ingénieux artiste avait compris avec beaucoup de finesse que le meilleur moyen de rendre hommage à la mémoire de Desaix était de consacrer ce moment fatal où la mort le saisit au sein de la victoire, et que ce qui rend cette figure militaire sympathique et touchante, c’est moins la reconnaissance des services rendus pendant sa courte existence que le regret de ceux que sa mort précoce ne lui a pas permis de rendre.

Le musée de Clermont, sans être d’une grande richesse, contient pourtant un certain nombre de choses intéressantes. Une des plus curieuses est un vieux tableau représentant le tohu-bohu de la foire de Florence au XVIe siècle, cabarets installés parmi les denrées amoncelées, cavaliers passant au milieu des groupes qui s’écartent pour n’en être pas écrasés ou renversant les paniers des marchandes, paysans attroupés autour d’un charlatan à longues moustaches, coiffé d’un chapeau de Scaramouche, le corps ceint d’un énorme serpent familier qui le fait ressembler à une ancienne enseigne de pharmacie métamorphosée en homme, belles dames et seigneurs en carrosses dorés. Les meilleures, comme art, de ces vieilles toiles sont de beaucoup plusieurs tableaux de Callot représentant des pendaisons militaires de bandits, de révoltés ou de soldats maraudeurs. Ces troupes en belle tenue et en bon ordre, serrées en épais carrés autour des potences, contrastant par leur masse avec le petit nombre des condamnés, ces potences, pour ainsi dire, gloutonnes, qui ont déjà dévoré plusieurs existences et qui en attendent encore d’autres, ces condamnés pliant sous la terreur da supplice dont quelques secondes à peine les séparent, ces moines confesseurs montant avec les patiens les degrés de l’échelle fatale qu’ils vont tout à l’heure redescendre seuls, et continuant leurs exhortations jusqu’à strangulation finale, cette solennité de la mort déshonorée par la vulgarité du supplice, cette implacabilité impassible de la justice sociale mise en présence de ces affres de la mort et de ces angoisses de la chair défaillante qui seraient faites pour toucher de pitié les plus durs de ces spectateurs s’ils étaient pris isolément, tout cela produit l’impression de sérieuse tristesse que sait donner par momens l’auteur des Malheurs de la guerre, moins bouffon que sa réputation, et qui a encore plus de philosophie que de verve. Cependant ces tableaux me laissent un doute; je les ai déjà vus à Rome à la galerie Corsini avant de les voir au musée de Clermont. Sont-ils de la main même de Callot, ou ne sont-ils que de bonnes copies? Pour moi, je n’hésite pas à croire qu’ils sont des répétitions faites par Gallot lui-même des toiles que possède le palais de la Lungara,