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ni plan, ni méthode. Je remonte le fleuve au lieu de le descendre. J’en ai suivi le cours irrégulièrement, avec quelque négligence et beaucoup d’oublis. Je l’ai même abandonné assez loin de son embouchure et ne vous ai pas montré comment il finit, car, à partir d’un certain point, il finit par des insignifiances et s’y perd. Maintenant j’aime à penser que je suis à la source, et que je vais voir jaillir ce premier flot d’inspirations cristallines et pures, d’où le vaste mouvement de l’art septentrional est sorti.

Autres pays, autres temps, autres idées. Je quitte Amsterdam et le XVIIe siècle hollandais. Je laisse l’école après son grand éclat : supposons que ce soit vers 1670, deux ans avant l’assassinat des frères de Witt et le stathoudérat héréditaire du futur roi d’Angleterre, Guillaume III. À cette date, de tous les beaux peintres que nous avons vus naître dans les trente premières années du siècle, que reste-t-il? Les grands sont morts ou vont mourir, précédant Rembrandt ou le suivant de près. Ceux qui subsistent sont des vieillards à bout de carrière. En 1683, sauf Van der Heyden et Van der Neer, qui représentent encore à eux seuls une école éteinte, pas un ne survit. C’est le règne des Tempesta, des Mignon, des Netscher, des Lairesse et des Yan der Werf. Tout est fini. Je traverse Anvers. J’y revois Rubens imperturbable et plein comme un grand esprit qui contient en lui le bien et le mal, le progrès et la décadence, et qui termine en sa propre vie deux époques, la précédente et la sienne. Après lui je vois, comme après Rembrandt, ceux qui l’entendent mal, ne sont pas de force à le suivre et le compromettent. Rubens m’aide à passer du XVIIe siècle au XVIe. Ce n’est déjà plus ni Louis XIII, ni Henri IV, ni l’infante Isabelle, ni l’archiduc Albert; déjà ce n’est plus même ni le duc de Parme, ni le duc d’Albe, ni Philippe II, ni Charles-Quint.

Nous remontons encore à travers la politique, les mœurs et la peinture. Charles-Quint n’est pas né, ni près de naître, son père non plus. Son aïeule Marie de Bourgogne est une enfant de vingt ans, et son bisaïeul Charles le Téméraire vient de mourir à Nancy, quand finit à Bruges, par une série de chefs-d’œuvre sans pareils, cette étonnante période comprise entre les débuts des Van-Eyck et la disparition de Memling, au moins son départ présumé des Flandres. Placé comme je le suis entre les deux villes, Gand et Bruges, entre les deux noms qui les illustrent le plus par la nouveauté des tentatives et la pacifique portée de leur génie, je suis entre le monde moderne et le moyen âge, et j’y suis en pleins souvenirs de la petite cour de France et de la grande cour de Bourgogne, avec Louis XI, qui veut faire une France, avec Charles le Téméraire, qui rêve de la défaire, avec Commines, l’historien-diplomate, qui passe d’une maison à l’autre. Je n’ai pas à vous parler de ces