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se rend au temple voisin du siro pour y offrir ses prières. Les premiers compagnons de Sin-mu qui se partagèrent les provinces étaient eux-mêmes des héritiers des puissances célestes et leur rendaient un hommage de descendant à aïeul; ce sont eux qui, entourés de leur nombreuse famille, célébraient le culte des dieux de leur race dans le principal temple de chaque province. Celle-ci était dédiée au kami dont les petits-fils étaient ses maîtres, et l’on retrouve encore dans chacune un temple principal (ichi no mya) consacré à ce culte.

Ainsi, tandis que le vulgaire était éloigné des autels et réduit à quelques pratiques domestiques, c’étaient les maîtres de la terre qui seuls conservaient le privilège de s’entretenir avec ceux du monde invisible. C’est à eux que les dieux avaient particulièrement confié ce soin; c’est par ces intermédiaires que leurs bénédictions pouvaient se répandre sur le monde. On peut donc distinguer à cette époque deux cultes dans le shinto : l’un est instinctif, naïf, plébéien; l’autre est officiel, liturgique, célébré par une caste laïque d’institution divine à la tête de laquelle est placé le mikado. Le gouvernement, théocratie militaire qui ne perdra son caractère hiératique que dans les guerres civiles, se réserve dès le début le prestige des communications avec le ciel, et de là vient que les rites et les emblèmes du shinto ont un sens mystérieux qui échappe à ses propres adhérons.

Au reste, rien n’est plus simple que le culte primitif, ou pour mieux dire il n’y a pas de culte, pas d’adoration, pas de cérémonies pieuses placées à des intervalles réguliers, comme dans les religions monothéistes de l’Europe. Chaque kami a une ou plusieurs journées consacrées à sa mémoire, pendant lesquelles le peuple se livre à des fêtes autour de son temple ou mya : on ne l’adore pas, on l’honore ; on se réjouit en mémoire de ses exploits. Il n’y a point de sacrifices; tout se borne à des offrandes de gâteaux, d’huile, d’oiseaux vivans, à des représentations dramatiques, à des réjouissances comme celles qu’Énée faisait célébrer en l’honneur de son père Anchise. Une particularité frappante du shinto, c’est que jamais dans les temples qui y sont consacrés on ne rencontre d’idoles. Le temple est d’une construction très simple, en bois brut, recouvert d’un toit de chaume ou de planchettes de sapin superposées de manière à imiter le chaume. On trouve invariablement avant d’y arriver le tori, sorte de portique en bois ou en pierre, composé de deux montans verticaux, qui supportent une solive horizontale relevée aux extrémités. On y monte par des escaliers de bois : à l’entrée se trouve un gong sur lequel les fidèles doivent frapper au moyen d’une grosse corde suspendue à côté pour appeler le dieu; on ne pénètre pas dans l’intérieur généralement désert, où sur une table