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en forme d’autel se trouvent le miroir et le gohei, attributs inséparables du shinto. Le miroir rappelle celui qui fut donné par Amatéras à ses descendans quand elle les envoya pour gouverner le monde en leur disant qu’il leur suffirait d’y regarder pour y voir l’âme de leur mère et y trouver par conséquent la vérité; elle y joignit un sabre et un globe de cristal, qui sont encore conservés par la maison impériale. Le gohei est composé de bandes de papier blanc découpées d’une façon particulière et suspendues à des tiges de bambou de chaque côté du miroir; c’est un emblème de pureté. Ces mya sont presque toujours situés au milieu d’un bosquet de cyprès ou de bambous, au penchant d’une colline, et peuplés d’oiseaux qui trouvent leur sûreté dans la vénération qui entoure le bois sacré. Il est rare aujourd’hui d’y rencontrer un Japonais en prière. Les uns sont abandonnés et fermés, les autres desservis par de simples laïques qui en sont les gardiens. A certains jours de fête seulement, les environs s’emplissent d’une foule joyeuse et nullement recueillie; les desservans revêtent un costume particulier, celui de la cour, et l’on se livre à des réjouissances qui nous reportent en pleine antiquité grecque; mais les innovations bouddhistes ont tellement envahi les cérémonies qu’il faut recourir aux érudits pour se faire une idée de l’ancien culte : on voit que le feu y tenait une grande place, ainsi que les danses, souvenir des heureux efforts faits jadis par les divins habitans de la terre pour arracher Amatéras de sa caverne.

En résumé, la « voie des dieux » présente l’évolution qu’on remarque dans la plupart des dogmes polythéistes : les peuples débutent par un naturalisme naïf auquel succède peu à peu la personnification des forces naturelles; puis, à mesure que les sentimens s’élèvent et que les traditions s’accumulent, ils aiment à donner aux héros de leur histoire une place dans leur panthéon. La plupart des kami dont on rencontre les sanctuaires ne sont que des hommes divinisés, comme Hercule et Thésée, comme les héros de l’Edda; mais à travers ces diverses phases on ne sent pas le souffle puissant du panthéisme grec, qui divinise toutes les réalités terrestres et rapproche l’homme de ses dieux en rapprochant les dieux de la terre. L’homme d’Athènes apostrophe volontiers les immortels; ils sont mêlés à sa vie, à ses affaires, il leur promet des récompenses, il traite avec eux, non sans indépendance; il les aime parce qu’ils sont beaux et impérissables, il ne les craint pas. Ici au contraire c’est la peur qui semble avoir dominé l’imagination en travail, c’est par son côté terrible que la nature s’est fait voir aux yeux des hommes; au lieu des tableaux rians de l’Olympe, on se croit transporté au milieu des sombres et muettes divinités de l’Egypte et de la Phénicie. Les dieux créateurs n’ont ni histoire, ni séjour indiqué,