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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/355

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des choses et des hommes dont il parlait, la connaissance pratique de tous les intérêts, l’habileté et la justesse dans le maniement des ressorts de la fortune d’un pays. Après cela, ce fut toujours le personnage le moins absorbé même quand il était le plus occupé, et en paraissant être tout entier à ses exploitations agricoles il ne laissait pas encore de mener de front la vie du monde.

Lorsqu’il n’était pas à sa vie de campagne, il était à Turin, animant de sa verve intarissable le salon de sa tante, la duchesse de Clermont-Tonnerre, ou se plaisant, s’instruisant aux conversations fines, sensées et libérales de l’ambassadeur de France, M. de Barante, et de son secrétaire, M. d’Haussonville. Lorsque l’air de Turin lui pesait, il allait à Genève, où il se trouvait auprès de son oncle, M. de Sellon, dans cette cordiale et intelligente société des La Rive, des Naville, des Lullin de Chateauvieux, avec qui il passait ces soirées qu’il rappelle, « devisant sur les affaires de l’Europe, redressant les faux systèmes, recomposant les mauvais ministères enfin arrangeant le tout pour le mieux. » Lorsqu’il se sentait un peu à l’étroit à Genève, il partait pour Paris et Londres, ces deux grands théâtres du monde. Deux fois, en 1835 et en 1843, il a visité la France et l’Angleterre en voyageur qui ne perdait pas son temps.

L’Angleterre l’intéressait visiblement par ses institutions, par ses luttes parlementaires, par le déploiement de toutes les forces nationales, agricoles et industrielles. En France, tout l’attirait, la politique et la vie sociale. Accueilli pour son nom, pour son esprit et sa bonne grâce dans les principaux salons, il en subissait les séductions. Peut-être même se laissait-il aller à bien d’autres séductions. Que dirai-je ? Il avait la verdeur de la jeunesse, il aimait les plaisirs, il ne se piquait pas d’être un sage, et, hardi au jeu comme en tout il ne reculait pas, en belle compagnie, devant une partie de whist à vingt-cinq louis la fiche ; mais ces fougues ne l’empêchaient pas de rester un observateur attentif, de goûter les choses sérieuses, surtout d’être sensible au charme élevé et délicat de la vie parisienne, et de Londres il écrivait gracieusement à Mme de Circourt, avec qui il est resté toujours en correspondance : « L’Angleterre est un pays d’immenses ressources ;… mais ce qu’on y chercherait vainement, c’est cette admirable union de la science et de l’esprit, de la profondeur et de l’amabilité, du fonds et de la forme qui fait le charme de certains salons parisiens, charme qu’on regrette toute la vie une fois qu’on l’a goûté et qu’on ne retrouve plus lorsqu’on est éloigné de cette oasis intellectuelle… » Et faisant un retour sur son propre pays, il ajoutait : « Sous certains rapports, l’air du Piémont est plus lourd que celui de Londres. Le ciel est pur, mais l’horizon moral