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maître de ces questions, touchant à tout avec netteté, avec une hardiesse confiante, et au bout du compte il finissait par dire à peu près : « Prenez garde ; si à la session prochaine le ministère n’a pas à nous présenter une politique financière, un plan financier avec les moyens de rétablir autant que possible l’équilibre, avec une réforme douanière et les impôts dont nous avons besoin, j’en serai désolé, mes amis et moi nous serons obligés de l’abandonner… Les conditions de notre pays peuvent être graves, elles n’ont rien de désespéré ; il suffit d’un peu de volonté et de courage pour faire accepter au pays les contributions nécessaires… Qu’on ne nous parle pas des agitations des partis : l’union du roi et de la nation est assez fortement cimentée pour n’avoir rien à redouter des partis extrêmes, des révolutionnaires et des réactionnaires. Je ne crains la propagande ni des uns ni des autres… Agissez donc, ne craignez pas, vous aurez le concours du parlement, celui du pays, même dans la partie la plus douloureuse de notre tâche, le rétablissement de l’équilibre des dépenses et des ressources… »

A voir cette universalité de talent, cette activité toujours prête, cette sûreté d’esprit politique, on sentait l’homme impatienté du temps perdu, le ministériel mûr pour le ministère. On le sentait si bien que le jour où le ministre du commerce Santa-Rosa mourait inopinément au mois d’octobre 1850, le nom de Cavour se présentait de lui-même. Tout s’accordait pour désigner Cavour à cette succession qui s’ouvrait dans les circonstances les plus poignantes. Le malheureux Santa-Rosa, associé avec ses collègues dans la présentation comme dans le vote de la loi du foro, et néanmoins toujours profondément religieux, se voyait refuser durement les derniers secours de l’église par l’ordre de l’archevêque de Turin, Mgr Fransoni. Un drame pénible se passait autour de ce lit d’un mourant qui implorait les prières du prêtre en refusant fermement toutefois de subir une rétractation dans laquelle il voyait le déshonneur de son nom. L’opinion, violemment émue, s’agitait à Turin, et, par une représaille naturelle, elle se tournait vers celui qui était l’ami intime de Santa-Rosa, qui plus que tout autre avait contribué au succès de la loi du foro. D’Azeglio lui-même d’ailleurs ne demandait pas mieux que d’avoir avec lui cet habile et vigoureux athlète, et, lorsqu’il allait le proposer au roi, Victor-Emmanuel, sans s’étonner plus que les autres, répondait avec finesse : « Je le veux bien, mais attendez un peu, il vous prendra tous vos portefeuilles. » Quant à des conditions, Cavour n’en avait fait d’aucune espèce, ni sur les hommes ni sur les choses. Il savait qu’un ministre a le pouvoir qu’il sait prendre, qu’il est capable d’exercer. Il disait son mot de la villa Bolongaro : « Nous ferons quelque chose ! » Le