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plus de cent cinquante sur trois cent soixante-cinq, on n’aurait plus à manger que des olives et des lakhana. Les hérétiques, — et j’étais heureux d’en être, — ont seuls la faculté de manger du caviar en carême ; quanta la viande, il n’y fallait même pas songer. — Les lits méritent aussi d’être décrits. Le sommier est inconnu chez les Grecs ; une chai-pente en fer supporte un matelas de laine non cardée. Des moustiquaires en mousseline font le seul ornement de ces lits. J’y dormis bien cependant, et lorsque je m’éveillai, j’oubliai tous les désappointemens de la veille.

Le soleil se levait ; j’ouvris ma fenêtre et je restai ébloui devant le spectacle que présentait le golfe aux premières lueurs du matin. Ma chambre, faisant le coin de la maison, donnait par une fenêtre sur le nord, par l’autre à l’est. C’est là que se portèrent tout d’abord mes yeux, sur cet isthme étroit, derrière lequel le ciel tout en feu se déchirait en longues bandes rouge et or. Les hautes montagnes de l’Acro-Corinthe au sud-est, de l’Hélicon, du Cythéron au nord, découpaient de leur silhouette encore brune cet horizon resplendissant. Plus près de moi, en face, les montagnes desséchées de l’ancienne Phocide, le Parnasse, le Xéro-Vouni, se coloraient déjà des premières teintes roses de l’aurore ; le Parnasse surtout, vrai séjour des muses à ce moment, rougissait comme embrasé par ces rayons précurseurs qui percent à l’horizon avant l’apparition du soleil. Le golfe, cette eau si bleue hier, s’étendait mollement en longues nappes d’argent, et les contours capricieux de ses rives se dessinaient en noir. Peu à peu les montagnes, les collines, les plaines, s’éclairèrent : le soleil parut rouge comme un disque sanglant, et, dissipant en s’élevant les lueurs éclatantes qu’il avait apportées, brilla bientôt sur le bleu du ciel et de la mer dans toute sa sérénité. Je suivais encore les mille révolutions de l’horizon, et je songeais avec envie à cette existence des anciens Grecs qui passaient tout le jour en plein air, préférant la voûte du ciel aux étroites cellules de leurs maisons, quand ces preniiers bourdouuemens d’une ville qui s’éveille attirèrent mon attention. Bientôt j’entendis marcher, parler, crier dans les rues, et je sortis pour voir de près ces Grecs aux mâles visages et aux brillans costumes qui m’avaient déjà frappé à mon arrivée.

Le costume national se rencontre de jour en jour plus rarement à Athènes ; dans les petites villes, au contraire, une grande partie des habitans a conservé fidèlement les anciennes traditions. C’est un dimanche, le matin, qu’il faut se promener dans les rues d’Aiglon pour voir les Grecs parés dans tout leur éclat. On est frappé d’un luxe, d’une variété de costumes vraiment étonnans, quand on considère que c’est là parfois toute la richesse de ceux qui les