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A la ville, c’est autre chose, et pour ces grossiers travaux on a les domestiques ; mais, si les hommes font moins encore, les femmes ne se reposent pas. Ayant pour la plupart sept ou huit enfans qui se suivent d’année en année, c’est déjà, pour les entretenir, les nourrir et veiller sur eux, une constante occupation. Ce n’est pourtant pas tout. Les domestiques sont nombreux, surtout à Aigion ; mais ce sont de pauvres paysans qu’on recueille et qu’on paie à peine. Il faut dès le matin assigner à chacun sa part de travail dans la maison, lui répéter cent fois les mêmes choses, gronder, crier, battre pour être comprise ; le soir, quand les enfants sont couchés et endormis, s’il lui reste un peu de temps, elle se met à coudre, à filer ou à tricoter, et si par hasard dans la journée quelques momens lui restent encore, elle s’assied à l'ergalion (métier) et tisse de la soie, ou bien, si c’est en été, surveille les cocons ou la lessive, — heureuse quand elle n’est pas forcée de faire elle-même ou de refaire l’ouvrage de ses domestiques incapables. De pareilles journées laissent peu de temps pour les plaisirs et pour l’éducation des enfants ; aussi n’y songent-elles guère. Un travail incessant est leur seule distraction, et les enfans courent dans les chambres, dans les escaliers, livrés complètement à eux-mêmes. Les plus jeunes, tout nus, se vautrent dans le jardin, sur les pierres ou dans l’eau, en plein soleil, et savent bien apprendre à marcher sans lisières ; quand ils atteignent six ou sept ans, on les envoie à l’école, et ce sont pour la mère quelques heures de tranquillité qu’elle gagne par jour. Enfin tout cela pousse et grandit sous le ciel clément de la Grèce, au gré de la nature, comme ces grains d’ivraie que le vent emporte et sème sur son passage, qu’un rayon de soleil fait éclore et que le hasard tue ou laisse vivre.

On pourrait croire que quelques femmes, en présence d’une pareille existence, se révoltent ou refusent de se marier. Pas une ne parait même en avoir la pensée ; elles ont toujours un air triste et résigné, leurs regards paraissent éternellement fixés vers un idéal qu’elles rêvaient et qu’elles pleurent ; mais toutes ces illusions s’envolent à leurs premières paroles, et l’on s’aperçoit vite que les sentimens de la femme sont morts et que tout s’est éteint peu à peu dans leur cœur sous l’influence insensible de l’habitude. Leur jeunesse se passe sans leur coûter une larme, et le peu qu’elles ont de fraîcheur et de beauté se flétrit en quelques années sans qu’elles pensent à donner à ce passé, qui ne fut rien pour elles, un soupir de regret.

Quant aux jeunes filles, leur idéale leur but unique, c’est le mariage. Aucune ne se trompe sur le sort qui l’attend ; elles ont chaque jour devant les yeux l’exemple de leur mère, — et pourtant, poussées par je ne sais quelle curiosité plus ardente que par-