à l’appel des colonies protestantes ; là, une mère patrie qui refuse aux enfans sortis de son sein l’usage de cette liberté dont elle leur a donné l’exemple, tandis qu’une nation frivole, généreuse et façonnée à la servitude, vient offrir son épée aux descendans de Penn. Quand on juge l’histoire en philosophe et qu’on distribue les siècles en périodes imposantes, il est assez facile de faire rentrer de gré ou de force les faits dans les idées : il n’en coûte rien de sacrifier quelques retardataires au triomphe définitif d’une loi providentielle ; mais quand on pénètre dans le vif de l’histoire, il faut bien reconnaître que les événemens se combinent d’abord d’après les intérêts et les passions du moment. Il importe peu à l’Angleterre qu’elle serve de modèle à l’affranchissement des peuples ; mais il lui importe beaucoup de faire respecter les décisions de son parlement et de conserver son empire colonial. Les princes allemands ne se demandent guère s’ils sont ici-bas les représentans de la liberté religieuse, à moins que ce rôle avantageux ne flatte leur vanité, ou ne remplisse leur trésor.
Toutefois M. Bancroft pense que les intérêts d’un jour ne gouvernent pas seuls le monde. Supposez que plusieurs personnes, dans une circonstance solennelle, vous aient rendu un service : en conclurez-vous qu’elles sont toutes également généreuses, également dévouées à votre cause ? L’une vous oblige par intérêt, et, comme l’intérêt est changeant, elle sera demain contre vous : l’autre suit sa fantaisie, qui passera encore plus vite ; mais la troisième agit sur un principe général qui subsistera. Si vous poussez plus avant, vous découvrirez peut-être dans l’homme qui vous a nui un principe caché qui vous le ramènera plus tard, ou dans cet indifférent des velléités de sympathie sévèrement réprimées. Ce petit examen vous donnera de la froideur pour la personne qui vous a obligé, et beaucoup de goût pour votre ennemi de la veille. S’il paraît peu conforme aux notions vulgaires de la reconnaissance, on sait que cette vertu tient peu de place dans la politique, et d’ailleurs il est permis à tout historien de faire sur les peuples une espèce d’analyse qui sépare les faits passagers des sentimens durables. M. Bancroft en a usé largement, non pas en humoriste, mais en érudit, avec documens à l’appui. Il a consulté les archives des chancelleries, interrogé les mobiles des principaux acteurs ; il est vrai que les sympathies de l’Américain et les opinions du philosophe nuisent singulièrement à l’impartialité du savant ; mais il a le bonheur d’être complété, commenté, et finalement présenté au public français par un homme dont l’impartialité est le trait dominant. M. le comte Adolphe de Circourt a traduit ce dixième volume, en y joignant ses propres conclusions et des documens inédits. On a de la sorte un exposé très complet des rapports de l’Europe avec l’Amérique