Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/486

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a pour moyen d’expression l’effort passionné, et pour objet l’image des luttes, des douleurs, de toutes les émotions de la vie.

Par là s’explique le caractère complexe des chefs-d’œuvre de Michel-Ange et le sentiment de sympathie qu’inspire, à notre époque surtout, celui qui nous les a légués. « Les premiers modèles du Tombeau de Jules II, les Sépultures des Médicis, sont des monumens politiques, philosophiques et religieux, » dit très bien M. Guillaume, mais il ajoute avec plus d’à-propos encore : « Plusieurs générations se sont reconnues dans Michel-Ange, aujourd’hui on se plaît à voir en lui ce que nous appelons l’homme moderne… La vérité est qu’au milieu de toutes les agitations de la vie du grand artiste nous voyons paraître sa conscience, nous avons le spectacle d’un homme, et d’un homme supérieur, abreuvé d’amertumes... On avait toujours admiré en lui la fierté, la grandeur indomptable du talent et du caractère ; maintenant un autre sentiment s’ajoute à l’admiration : nous aimons dans Michel-Ange un génie souffrant. »

Grâce au beau travail de M. Guillaume et à plusieurs des études qui l’accompagnent, l’hommage rendu en France à la mémoire du maître immortel est le plus digne d’un aussi grand sujet, le plus sérieux dans le fond et dans les formes, qu’aient jamais obtenu cette mémoire tant de fois célébrée pourtant, ces œuvres si souvent décrites. Ajoutons que ces instructives considérations esthétiques ou littéraires ont un précieux complément dans les nombreuses estampes qui reproduisent, en regard du texte, des statues, des peintures, des dessins, conservés dans les édifices religieux ou dans les diverses galeries de l’Europe, comme les très consciencieux relevés faits par M. Duplessis et par M. Louis Gonse de tout ce qui a été gravé d’après Michel-Ange ou publié sur lui achèvent de nous fournir tous les renseignemens désirables. Ce volume, consacré à l’Œuvre et à la Vie de Michel-Ange, tient donc pleinement ce que promettait le titre. Il était depuis longtemps déjà bien glorieux pour nous de posséder au musée du Louvre deux des plus admirables marbres qu’ait laissés le sculpteur du Moïse, ces pathétiques Esclaves destinés primitivement, comme le Moïse lui-même, au Tombeau de Jules II. Aujourd’hui, toute proportion gardée, c’est un honneur aussi pour notre pays d’avoir vu se produire le meilleur livre que l’on ait écrit sur Michel-Ange et de se trouver ainsi, par ce temps de petites idées et de petites œuvres, directement associé aux plus grands souvenirs qui puissent être évoqués de l’art ei du génie humain.

Henri Delaborde.
________


Le directeur-gérant, C. Buloz.