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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/518

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maritimes à revers, la désorganisera de fond en comble, et tarira ainsi les dernières sources de la résistance. Selon lui, l’expérience de la campagne qui vient de se terminer à Atalanta prouve que l’ennemi est hors d’état de renforcer Hood, désormais réduit à une quarantaine de mille hommes. Que ce général s’attache à sa poursuite, ou, désespérant de l’atteindre, se jette sur le général Thomas, il trouvera devant lui des forces suffisantes pour lui résister. Voilà le plan qu’il trace avec une souplesse d’esprit qui se prête merveilleusement à toutes les circonstances, une sagacité militaire et politique bien digne d’admiration.

Aussitôt ce plan proposé, et en attendant qu’il soit accepté, Sherman en prépare l’exécution, sans perdre une minute ni se laisser arrêter par aucune considération. Son premier acte est de chasser d’Atalanta toute la population civile : « J’avais vu Memphis, Vicksburg, Natchez, la Nouvelle-Orléans enlevées à l’ennemi, et chacune occupée aussitôt par au moins une division, de telle sorte que le succès affaiblissait nos armées actives… Je savais que les populations rebelles verraient dans cette mesure deux choses : premièrement que nous ne plaisantions pas, et secondement que, si elles voulaient sincèrement, suivant leur cri populaire, mourir dans le dernier fossé, l’heure arrivait de le faire… La résidence ici d’une population pauvre nous obligerait, tôt ou tard, à la nourrir. » L’expulsion se fit rigoureusement, en dépit des protestations soulevées par cet acte d’inutile barbarie, et Atalanta devint ainsi un simple poste militaire qui pouvait être abandonné à toute heure sans inconvénient.

Cependant le temps s’écoule, et les autorités de Washington ne se pressent pas d’envoyer leur assentiment à un plan de campagne qui les étonne. Ce retard contrarie vivement Sherman, car il ne doute pas que Hood ne le mette à profit. En effet, un beau matin on apprend qu’il a disparu. Où est-il allé ? Sans doute exécuter les ordres de Jefferson Davis, et couper quelque part ce malheureux chemin de fer, qui est pour l’armée fédérale comme le tuyau d’air du plongeur ; mais en quel endroit ? Impossible de le deviner, et voilà Sherman condamné à mettre ses troupes en mouvement pour une poursuite immanquablement infructueuse. A peine parti, il assiste du haut d’une montagne à l’attaque de retranchemens qui défendent un grand pont. Le télégraphe étant coupé, il allume de grands feux pour indiquer l’approche de secours. Pour cette fois il réussit, car un message arrive du général commandant le poste attaqué : « Je n’ai plus qu’une joue et une oreille, mais je peux encore rosser ces damnés. J’ai perdu beaucoup de monde. Où est Sherman ? » Où est Sherman ? — la première pensée de tous à l’heure du danger comme au moment du succès.