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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/527

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dépêche. Elle annonçait l’assassinat du président Lincoln, la tentative contre M. Seward et le soupçon que le même sort était réservé à Grant et aux principaux chefs fédéraux. Craignant l’effet d’une pareille nouvelle dans un moment aussi grave, Sherman met la dépêche dans sa poche, défend au télégraphiste d’en révéler à qui que ce soit le contenu et se rend à l’entrevue. Laissant derrière eux leurs escortes, les deux chefs ennemis se rencontrent à cheval sur la route, se serrent la main, puis mettent pied à terre devant une ferme.

Dès qu’ils furent tête à tête : « Je lui donnai, dit Sherman, la dépêche annonçant l’assassinat de M. Lincoln, et je l’observai attentivement. De grosses gouttes de transpiration tombèrent de son front, et il n’essaya pas de cacher sa désolation. Il dénonça l’acte comme une honte en manifestant l’espérance que je n’en rendrais pas responsable le gouvernement confédéré. » La situation était sérieuse. M. Lincoln était particulièrement populaire auprès des soldats. Il y aurait de la rage aussitôt que la nouvelle serait connue, et il suffirait de quelque sot propos tenu par une femme, pour que cette rage eût des conséquences terribles. Il fallait donc beaucoup de prudence. Johnston l’admettait. Il admettait aussi qu’au point où en étaient les choses, continuer la guerre serait commettre un meurtre, seulement il voulait traiter à la fois pour son armée et pour toutes les forces de la confédération.

Quelques jours se passèrent en négociations, les questions politiques reprirent le dessus ; les questions militaires tombèrent au second rang. M. Lincoln n’était plus là pour mettre la paix dans le ménage et surmonter les difficultés à force de bon sens et de patriotisme. Les hommes d’état de Washington, n’ayant plus besoin des hommes de guerre, traitèrent fort mal Sherman, et il en ressentit une vive indignation ; mais sa renommée fut loin d’en être atteinte. Enfin, le 26 avril 1865, il signa avec le général Johnston la convention qui mettait fin à la grande guerre civile.

Ici s’arrêtent les mémoires de l’homme dont nous avons essayé d’esquisser la remarquable carrière. Nous laissons au lecteur le soin d’en tirer les conclusions qu’il voudra.