raison, comme des nobles appauvris et depuis longtemps dépouillés de leurs privilèges. La plupart paraissent descendre d’anciens soldats ou d’anciens colons établis jadis pour protéger la frontière méridionale de la Moscovie, et, en échange de leurs services, pourvus de terres longtemps exemptes d’impôt. Répartis dans des habitations à la fois isolées et peu distantes, que depuis l’on a réunies en villages, ces cultivateurs militaires formaient vis-à-vis des Tatars une ligne d’observation et de défense qui, en se reportant peu à peu vers le sud, pénétrait graduellement dans les steppes. Encore aujourd’hui c’est dans les gouvernemens de Voronège, de Koursk, d’Orel, dans les gouvernemens limitrophes de l’ancienne Moscovie que se rencontrent le plus de membres de cette petite classe. Quelle qu’en soit l’origine, les odnovortsy peuvent, dans l’échelle sociale de la Russie, occuper une place plus importante que leur nombre. Ils sont, en dehors de la noblesse, presque les seuls représentans de la propriété territoriale, telle que nous la connaissons en Europe ; à ce titre, ils sont le seul anneau intermédiaire entre l’ancien serf et l’ancien seigneur, et, plus facilement que le paysan des communes, ils pourraient peut-être doter la Russie d’une des choses qui lui manquent le plus, d’une classe moyenne rurale.
La plupart des classes entre lesquelles était divisée la population russe étaient si particulières à la Russie, si propres à son état social, qu’il était difficile d’y faire entrer des populations d’origine étrangère sans augmenter pour elles le nombre des subdivisions spéciales. Aussi d’ordinaire, pour ne point faire violence aux mœurs, pour ne point enfreindre les droits reconnus des pays conquis, le gouvernement russe était-il, à chaque annexion en Europe ou en Asie, contraint de créer pour ses nouveaux sujets de nouveaux cadres, de nouvelles rubriques. Chaque région, chaque race, et même chaque culte, en passant dans l’empire, y donne lieu à des divisions particulières, à des catégories sociales ayant chacune ses droits et obligations. Il y a dans la diversité des nationalités qui habitent l’empire une des difficultés qui, en Europe même, retardent la fusion et l’unification légale de toutes les populations comprises sur le sol russe. Les tribus nomades, comme en Europe les Samoïèdes ou les Kalmouks, restent naturellement en dehors des quatre classes normales. Les Tatars, les Bachkirs et toute la population mahométane gardent encore dans les villes ou les campagnes une position spéciale ; il en est de même à certains égards des cultivateurs libres de la Bessarabie, des bourgeois de l’ancienne Pologne ou des provinces baltiques, des colonistes allemands ou grecs de l’intérieur, de même enfin des Juifs des provinces occidentales. S’ils ne constituent plus, comme dans la république de Pologne, un cinquième ordre de l’état