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reçoivent, se chargent de le protéger. Quand les Romains visitaient un pays étranger, ils se montraient pleins de déférence pour les dieux de la contrée, et, hésitaient pas à se mettre sous leur protection tant qu’ils se trouvaient sur leurs terres ; mais, s’ils ne gênaient pas les divinités des autres peuples, c’était à la condition qu’on ne viendrait pas non plus inquiéter les leurs. Chaque religion, ayant son domaine limité, devait rester maîtresse chez elle. Les Romains n’ont jamais songé à imposer leurs dieux aux nations qu’ils avaient vaincues ; en échange, ils devaient défendre aux divinités étrangères de s’établir à Rome.

Rien de plus naturel et qui s’explique mieux que cette défense. Chez tous les peuples antiques, la. religion était une autre forme de l’état, ou plutôt elle donnait à l’état sa forme et son existence. C’était le culte des mêmes dieux, la pratique des mêmes rites, qui constituait l’unité de la famille, de la tribu, de la cité. Toutes les fois que des individus isolés se groupaient pour former une association, ils se réunissaient autour du même autel ; la divinité qu’on y adorait donnait ordinairement son nom à la société nouvelle, elle en devenait le centre et le lien. Il ne suffit donc pas de dire qu’il y avait dans l’antiquité des religions d’état, puisqu’alors l’état et la religion étaient la même chose. C’est le christianisme qui, en se constituant en dehors de la société civile et en opposition avec elle, a séparé le premier ce que toute l’antiquité avait uni. Aussi la défense du culte national était-elle le premier devoir que s’imposaient les nations anciennes ; aucune ne l’a négligé, et il était naturel que Rome l’accomplît avec plus de sévérité encore que les autres. Il y était défendu aux citoyens d’honorer d’autres dieux que ceux de la cité, separatim nemo habessit deos. Tertullien cite une loi spéciale qui interdisait d’introduire à Rome aucune divinité qui n’eût été d’abord adoptée par le sénat. Cette loi ne se retrouve plus sous cette forme dans les codes romains, tels que nous les avons aujourd’hui, mais son existence n’en est pas moins constatée par les nombreuses applications qu’on en a faites. Nous savons que beaucoup de dieux nouveaux ont été officiellement reconnus par des sénatus-consultes, tandis qu’on en a rigoureusement exclu beaucoup d’autres que le sénat avait refusé d’admettre. « Que de fois, dit Tite-Live, n’a-t-on pas donné l’ordre aux magistrats d’interdire les cultes étrangers, de chasser du Forum, du cirque, de la ville, les prêtres ou les devins qui les propageaient, et de ne souffrir, dans les sacrifices, que les pratiques de la religion nationale ! »

Toutes ces mesures furent inutiles, et elles n’empêchèrent pas un grand nombre de divinités du dehors de s’établir à Rome. Ce qui rendit vaines les prescriptions de la loi, c’est que le sentiment