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laissa nulle part tomber en oubli. Il n’était pas besoin, pour que la persécution se ranimât dans les provinces après quelques années de calme, que l’impulsion vînt de Rome et de l’autorité. Un événement imprévu, un intérêt particulier et local pouvaient tout d’un coup enflammer les esprits, et, une fois excités, la loi ne leur offrait que trop de moyens de se satisfaire. C’est ce qui arriva sous Marc-Aurèle à Lyon, où les chrétiens furent, on ne sait pourquoi, insultés, battus, lapidés, traînés devant les magistrats, torturés et mis à mort ; ce n’est qu’après en avoir exposé quelques-uns aux bêtes, sur la demande du peuple, et en avoir fait mourir d’autres en prison, que le proconsul, effrayé de voir leur nombre s’accroître tous les jours, s’avisa de consulter l’empereur, qui du reste ordonna de continuer comme on avait commencé. Nous voyons de même la persécution éclater brusquement à Alexandrie un an avant l’édit de Dèce : la prédication d’une sorte de prophète ou de poète excite la populace, qui se jette sur les chrétiens, pille leurs maisons, les assomme dans les rues, allume des bûchers au milieu des places et les y précipite. Peu de temps après le règne d’Alexandre Sévère, pendant la paix profonde dont jouissait l’église, la Cappadoce et le Pont ayant été dévastés par des tremblemens de terre qui renversent les temples, détruisent les villes, engloutissent les habitans, le peuple, suivant son habitude, s’en prend aux chrétiens et leur fait subir toute sorte de supplices. Ces massacres n’étaient pas commandés par l’autorité, mais ils n’étaient non plus ni arrêtés, ni punis. Après tout, le peuple avait la loi pour lui ; il l’exécutait sans doute un peu brutalement, mais, comme elle n’était qu’un décret d’extermination, il n’importait guère d’y mettre des formes. Les proconsuls laissaient s’accomplir ces vengeances populaires ou ne s’y opposaient que mollement. Personne n’attachait beaucoup d’importance à la mort de ces sectaires inconnus, et il est probable que le bruit de ces exécutions ne sortait pas des pays qui en étaient le théâtre. C’est par hasard que le souvenir de quelques-unes d’entre elles est arrivé jusqu’à nous, et nous devons certainement en ignorer le plus grand nombre. On peut donc dire qu’en somme la persécution n’a jamais complètement cessé dans la vaste étendue de l’empire ; elle ne s’éteignait ici que pour se ranimer un peu plus loin. Pendant les deux cent cinquante ans qui séparent Néron de Constantin, les chrétiens ont pu jouir de quelques momens de relâche, mais jamais leur sécurité n’a été complète. Leur sort dépendait de l’imprévu, leur condition changeait d’un pays à l’autre, et les empereurs qui les aimaient le plus n’ont pas pu les soustraire partout aux emportemens du peuple qui s’appuyaient sur les injonctions de la loi.

Mais alors, si la persécution a été continue, s’il est vrai qu’elle ne