était occupée du matin au soir à cette besogne. On eût dit qu’il prenait plaisir à fatiguer, à tourmenter les fonctionnaires de l’état, qui ne prononçaient son nom qu’en poussant des soupirs et voyaient arriver ses missives avec terreur. Dans cette vie agitée, les occasions de dépenses ne manquaient pas. L’ambition d’un protectorat princier a ses entraînemens et ses périls aussi bien que la folie des plaisirs. En toute chose, même dans les meilleures, ce n’est pas inpunément qu’on oublie de garder la mesure. Bref, le bon duc de Kent était endetté en mourant comme s’il avait mené la vie désordonnée du prince de Galles.
Ce fut une raison de plus pour le prince Léopold de Saxe-Cobourg de prolonger son séjour en Angleterre ; il se devait à sa sœur la duchesse de Kent, à sa nièce la princesse Victoria. Rétablir les finances de la mère, protéger les premières années de la fille et diriger son éducation, il y avait là un juste emploi de ses loisirs, et le devoir de famille, ajouté à tant de motifs de convenance politique, ne lui permettait plus de songer sérieusement à une installation dans son pays natal.
Cette idée de retourner à Cobourg s’était vivement emparée de son esprit deux années auparavant, dès la mort de la princesse Charlotte. Ses parens l’appelaient, ses souvenirs d’enfance lui souriaient de loin. Il lui semblait qu’il ne trouverait nulle part des consolations plus efficaces. Ce fut Stockmar qui le détourna de ce projet. « Le deuil de votre altesse, lui disait-il, appartient à l’Angleterre, c’est en Angleterre que vous devez pleurer la princesse dont toute l’Angleterre a pleuré la mort. Il y a là un cas de conscience. Prenez garde de manquer à ceux qui vous ont montré une si profonde sympathie depuis votre mariage avec la petite-fille de leur vieux roi. Le malheur qui vous a frappé n’a pas rompu ces liens ; on attend de vous que votre douleur, présente à tous, connue et appréciée de tous, élève comme un monument idéal à l’auguste morte, le plus beau des monumens funéraires, le plus pur et le plus digne d’elle. » Ces paroles sont touchantes, et l’habile conseiller savait bien qu’elles suffiraient à décider le prince. Quant à lui, esprit avisé, politique pénétrant, c’était surtout la raison d’état qui le rendait si pressant auprès de son maître. « Si vous retournez à Cobourg, ajoutait-il, l’Angleterre verra dans cette résolution un acte d’ingratitude, un manque de sentiment vrai, de délicatesse morale, et votre position dans ce pays sera pour jamais détruite. » Quelle position ? Stockmar n’avait pas besoin de s’exprimer plus clairement. On a vu par la première de ces études quelles préoccupations d’avenir avait éveillées la mort de la princesse Charlotte. Dans les hautes sphères de l’état, à la chambre des communes