les tribunaux. » Mais, que le comte Féodor se console, il est encore populaire en Angleterre : « ma fille m’écrit qu’aux courses de Salisbury le cheval qui a gagné le prix s’appelait Rostopchine, » comme d’autres chevaux se sont appelés Nelson, Souvorof, Blücher, Wellington, etc. Qu’il méprise donc les artisans de la Cité : sa gloire se perpétuera dans les écuries des nobles.
Rostopchine, qui ne peut souffrir les Français, estime sans doute, comme tant d’autres gallophobes, que Paris est un coin de terre où il fait bon vivre. En 1817, il vient s’y fixer ; on pourrait même donner ses adresses successives : rue du Mont-Blanc, rue Pigalle, rue Chauchat. « Il aima tant la France, dit son biographe, qu’il y demeura six années presque sans interruption et qu’il ne la quitta qu’avec un immense regret. » Je ne vois pas sur quels textes M. de Ségur a pu fonder cette appréciation. Les correspondances que lui-même a pris soin d’analyser sont déjà pleines de traits peu bienveillans pour nous, et encore Rostopchine est-il obligé de se contenir, puisqu’il écrit à sa femme et à ses filles, dont il connaît les sympathies françaises. Il se trouve bien plus à son aise avec Voronzof, l’ami des Anglais. Dans ses lettres au comte Semen, il n’est pas un sarcasme, pas un outrage qu’il ne prodigue soit à Paris, qu’il appelle ironiquement « la capitale de l’Europe, » la « régente de l’Europe, » soit à la France, qu’il appelle « la grande nation, la nation une et invincible, quoique partagée et battue : » lourdes plaisanteries, presque germaniques, peu généreuses envers un peuple qui n’était pas tombé sans gloire et dont la ruine avait demandé plus d’une campagne aux armées de l’Europe coalisée. Paris est pour lui « un immense Charenton, » le « siège du vilain idéal. » Parlant des intrigues du congrès d’Aix-la-Chapelle, il dira qu’on « négocie par les femmes la destinée de la plus grande coquine du monde, c’est-à-dire de la France. » Est-il vrai qu’il n’ait quitté la France qu’avec un immense regret, comme l’assure son petit-fils ? J’en croirai plutôt Rostopchine lui-même : « Je quitterai Paris sans y regretter un seul individu. » Ailleurs il formule ce vœu digne d’un sauvage et qui eût demandé pour exécuteur un de ses ancêtres mongols : « Le monde ne sera jamais tranquille tant qu’il y aura une nation française dont la capitale sera Paris. Il faut que l’herbe croisse dans la rue Richelieu et qu’on aille tirer des lapins sauvages au Palais-Royal. On a manqué une belle occasion en 1814 et en 1815 de mettre la France hors d’état de nuire à l’Europe. »