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curieuses notes autobiographiques, — deux Grecs vinrent le trouver en Angleterre et lui firent à ce sujet les premières ouvertures. Ils avaient mission de s’entendre avec lui sur les mesures à prendre et la marche à suivre. Ils virent aussi Canning, le célèbre ministre des affaires étrangères. La chose, il est vrai, n’eut pas de conséquences immédiates ; Canning conseilla au prince de ne pas se lancer dans une affaire encore si embrouillée et qui ne se débrouillerait pas de sitôt ; lui aussi à cette date, comme Stockmar sept années auparavant, il était d’avis que la vraie place du prince était sur le sol britannique. Rappelons-nous d’ailleurs que la politique anglaise était peu favorable à l’émancipation des Hellènes, comme à tout ce qui ébranlait la monarchie ottomane. Cependant la visite des deux envoyés secrets ne demeura point sans résultats. Il y avait chez le prince Léopold un fonds d’imagination qui se prenait volontiers aux apparences poétiques. Ce romantisme, comme l’appelle Stockmar, devait le disposer à ce beau rêve d’une royauté en Grèce. Couronner et assurer l’œuvre de la délivrance, s’associer à tant de cœurs généreux qui d’un bout de l’Europe à l’autre battaient pour les Souliotes, fonder un royaume là où Byron venait de mourir en héros, il y avait là de quoi tenter un prince enthousiaste. On ne voyait pas alors très clairement les difficultés intérieures, les divisions, les rivalités, les haines. On ne savait pas d’une façon très exacte ce qu’étaient le parti politique et le parti des primats. La poésie recouvrait tout, la merveilleuse poésie des klephtes et des palikares. Comment ne pas croire aux destinées d’un peuple qui, si promptement, si naturellement, à peine échappé à l’oppression la plus écrasante, produisait des Botzaris et des Nikitas, des Canaris et des Kolokotroni ? Il y en avait bien d’autres encore, moitié bandits, moitié héros, dont les noms s’inscrivaient chaque jour dans une légende dorée. Stockmar, esprit très peu poétique, avait beau prémunir son maître contre les mirages lointains, cette image d’un royaume de Grèce évoquée ainsi par les deux visiteurs de 1825, continua de charmer secrètement les yeux éblouis du prince.

Les années suivantes furent remplies des plus graves événemens. L’invasion de la Morée par Ibrahim-Pacha, la prise de Missolonghi, la prise d’Athènes, la capitulation de l’acropole, décidèrent enfin l’intervention de la Russie, de la France et de l’Angleterre. L’Europe ne pouvait souffrir plus longtemps que les populations chrétiennes fussent égorgées par les Égyptiens. La France malgré les hésitations de son gouvernement, l’Angleterre malgré le mauvais vouloir de sa politique, furent obligées de se mettre d’accord avec la Russie pour assurer l’existence nationale de la Grèce. De là le traité signé à Londres entre les trois puissances le 6 juillet 1827.