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décision de la conférence, n’a pas voix au chapitre. Elle ne peut donner son avis ni sur le choix du souverain, ni sur la délimitation du territoire nécessaire à sa défense. Dans les limites qu’on lui assigne, c’est-à-dire sans les îles de Samos et de Candie, la Grèce ne saurait subsister. Si la Turquie devait souscrire aux concessions que lui demande la conférence, sans que Samos et Candie fussent réunies à la Grèce, je me démettrais de mes fonctions plutôt que de signer un pareil traité, car je ne veux pas être témoin de la misère à laquelle le pays serait exposé sous de telles conditions. Heureusement la Turquie ne cédera pas si vite, et son refus amènera les trois puissances à prendre des résolutions plus dignes d’elles. Je prie le prince Léopold d’employer toute son influence pour obtenir que les îles de Samos et de Candie soient ajoutées au territoire fixé dans le protocole du 22 mars. En échange de cette concession, la Grèce se donnera une forme monarchique et se choisira un roi avec l’assentiment des puissances. »

On voit se dessiner ici le plan du comte Capodistrias. Le comte, qui a déjà su se faire une si grande place dans la révolution hellénique, rêve le trône de la Grèce. D’où vient donc que, le premier jour où les plénipotentiaires des puissances alliées lui demandent de proposer un candidat au trône, il nomme le prince Léopold ? C’est qu’il veut d’abord dissimuler son jeu et sonder l’opinion de la diplomatie. Fort bien ; mais entre les candidats princiers tout prêts à se mettre sur les rangs, pourquoi désigner le plus intelligent et le plus habile, partant le plus redoutable ? Oh ! c’est là que se dévoilent des profondeurs de tactique. Si le comte eût désigné un prince insignifiant, on eût trop bien vu qu’il préparait un échec à l’entreprise afin de se rendre indispensable. Il lui faut un candidat sérieux, le plus sérieux de tous les candidats, pour masquer ses desseins. Surtout il lui faut un personnage qui soit en mesure de parler aux puissances, de faire certaines conditions, d’élever certaines réclamations. Il ne réussira point ; qu’importe ? Il aura du moins accoutumé la diplomatie à entendre bien des choses que le président ne veut pas encore dire lui-même. Ce n’est pas tout : ces premières difficultés si graves au milieu desquelles le prince va se trouver engagé ne tarderont pas à produire leur effet ; le prince Léopold se découragera. Décourager le prince après avoir obtenu de lui une coopération efficace, en un mot, faire travailler Bertrand au profit de Raton, voilà le coup de maître.

Avez-vous remarqué ces paroles dès le début : « les plénipotentiaires ont été surpris quand j’ai prononcé le nom du prince, » et celles-ci au sujet du protocole du 22 mars : « plutôt que de signer un pareil traité, je me démettrais de mes fonctions, » et celles-ci