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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/92

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encore sur la délimitation des frontières : « je prie le prince d’user de toute son influence pour obtenir l’annexion de Samos et de Candie ? » Quel mélange d’excitations hardies et de pensées décourageantes ! Il faut que le prince Léopold se décide à parler, il faut qu’il agisse résolument, ne fût-ce que pour prendre sa revanche du froid accueil fait à son nom par les plénipotentiaires ; son amour-propre y est engagé. Surtout qu’il n’aille pas signer un acte comme celui que la conférence de Londres a rédigé le 22 mars ; ce ne serait plus une question d’amour-propre, ce serait une question d’honneur. Le président a déclaré qu’il se retirerait plutôt que de mettre sa signature à une œuvre de ruine et de mort ; le prince Léopold aurait-il le courage de briguer un pouvoir que le comte Capodistrias aurait rejeté avec dédain ?


III

Nous nous rappelons ici une image très vive qu’un de nos écrivains a tracée du comte Capodistrias précisément à la date où avaient lieu ces négociations particulières du président et du prince. Au printemps de l’année 1829, M. Edgar Quinet, membre de la commission envoyée en Morée par le gouvernement de la restauration, parcourait le pays avec ses guides. Un jour, entre Tripolitza et Argos, comme il grimpait péniblement le défilé d’Aglavo-Campo, ses guides lui montrèrent au sommet de la montagne des chevaux brillans d’acier, avec des housses brochées d’or. On distinguait des drapeaux à la croix bleue et blanche, une troupe de palikares disséminés dans les ravins, tous les indices d’une belle escorte guerrière ; évidemment il y avait là un personnage d’importance. « Par saint George, dirent les guides, c’est le père Jean. » Le père Jean, ou barba Jani, tel était le nom populaire du président. C’était lui en effet, c’était le comte Jean Capodistrias, qui pour la première fois faisait sa tournée en Morée avant que le congrès national se réunît dans Argos. « Au détour d’un rocher, dit M. Edgar Quinet, nous vîmes sur une plate-forme un homme vêtu à l’européenne assis à terre sous un mûrier, un cercle de capitaines grecs autour de lui, debout, appuyés sur leurs sabres, et près du mûrier un tacticos en faction avec la lance et le drapeau grec. Je descendis pour remettre mes lettres au président, non sans une légère émotion de rencontrer si inopinément l’homme qui était alors toute l’espérance et presque la seule pensée du pays que je parcourais. » Après les saints empressés du jeune voyageur et les réponses courtoises du président, le comte Capodistrias, qui n’est pas fâché de