Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/950

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

codifié et mis en canons ; l’abus de la couleur, l’emphase, le pathos, l’obscurité jouant la profondeur, la profusion et l’extravagance des métaphores développées et poursuivies parfois pendant des pages entières ; tels sont les principaux élémens qui le constituent. Accueilli dès le début avec un véritable enthousiasme, il a exercé sur toute la littérature espagnole une influence aussi profonde que funeste, et maintenant encore on en retrouverait la trace chez les auteurs les plus estimés. « Le mois d’août s’écoula, septembre, octobre s’écoulèrent aussi, et ces quatre-vingt dix jours s’entassant l’un après l’autre comme quatre-vingt-dix couches de terre dans la fosse de mon existence allaient ensevelissant mes illusions, mes joies, mes rêves, mon amour. » Ainsi s’exprime M. Perez Galdós par la bouche de son héros ; ailleurs encore, célébrant la beauté de la comtesse : « Amaranthe, dit-il, était prodigieusement belle, et ses yeux noirs, qui étaient les premiers yeux du monde, en d’autres termes, les Bonapartes du regard humain, conquéraient sur le champ tout ce que visait leur prunelle. » Cela ne rappelle-t-il pas le plus plaisamment du monde ces vers fameux par lesquels débutait une pièce de Gongora, également adressée à une dame : « Vierge si belle qu’elle pourrait incendier la Norvège avec le soleil de ses yeux, et blanchir l’Ethiopie avec la neige de ses mains ? .. » Bref, dans le style comme dans la composition et le choix des incidens, on sent la précipitation, l’absence d’effort sérieux, le contentement trop facile de soi-même. M. Perez Galdós reconnaît n’être pas exempt de défauts : il s’en excuse humblement tant sur la curiosité du public, avide de ses romans, que. sur l’impatience naturelle à son caractère, qui ne lui laisse pas mettre la dernière main à ce qu’il écrit. De tels aveux ne sauvent rien. Tout auteur se doit à lui-même de donner la mesure complète de son talent et, s’il y réussit, dût son œuvre lui coûter quelques années de plus, que M. Perez Galdós se rassure, le bon public ne songera point à s’en plaindre.

À peine le dernier des Épisodes annoncés venait-il d’être publié que sans plus tarder, avec un entrain tout espagnol, l’auteur derechef saisissait la plume et vaillamment entamait une seconde série d’égale importance. Deux volumes en ont déjà paru, les Équipages du roi Joseph et les Mémoires d’un courtisan de 1815 ; puis viendront à tour de rôle : la Seconde casaque, le Grand-Orient, le 7 juillet, les Cent mille fils de saint Louis, la Terreur de 1824… toute l’histoire du triste règne de Ferdinand VII, faisant suite aux faits épiques de la guerre de l’indépendance. Ici la parole n’appartient plus à l’ancien protagoniste Gabriel de Araceli ; ce système de narration à la première personne eût présenté à la longue moins d’avantages que d’inconvéniens. À part cela, rien n’est changé, les personnages sont les mêmes ou à peu près, les théories et les préjugés aussi. Tout d’abord, à propos de la chute et du