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et dans un coin obscur, séparé de la pièce par un petit rempart de planches, une litière de paille de sorgho indique l’endroit où reposent les habitans du lieu. Rien de plus misérable que les cabanes des raïas de Bosnie au milieu de cette riante et douce nature ; on dirait qu’on entre dans un village pris d’assaut, et de fait depuis un mois toute cette partie a été constamment visitée par les forces chargées de poursuivre les insurgés et par les insurgés eux-mêmes.

Lassé de ces démarches inutiles, je reviens à Tribicci, où, de concert avec le chirurgien, qui craint de se compromettre et de contrarier les officiers en introduisant un étranger dans leur cercle, nous nous décidons à repasser la Verbaz et à continuer notre route vers Berbir. À moins de surprise nocturne, la colonne ne se mettra en marche qu’au matin, et nous pourrons passer la nuit dans la ville, dont nous ne sommes séparés que par une heure et demie de marche.


V

Berbir, la Gradisca des Turcs, s’étend au bord de la Save ; nous y arrivons presque au coucher du soleil, à l’heure où rentrent les troupeaux. La ville est entourée de vergers, les maisons s’éparpillent à grande distance les unes des autres, on y entre en traversant un cloaque de boue noirâtre. Un petit camp dresse ses tentes blanches à la droite de la route dans la plaine verte, et les mosquées à minarets de bois s’élèvent au-dessus des maisons, noires d’aspect et toujours surmontées de très hautes toitures qui écrasent la partie habitée. Défendue sur sa frontière par le cours de la Save, une forteresse protège la ville du côté de la plaine, mais ses murs sont en ruine ; des arbres énormes ombragent les glacis, et, au lieu d’aller chercher le passage de la poterne, on peut pénétrer dans l’enceinte par les brèches. Par une inconséquence inexplicable, cette place fortifiée, où l’on entre à volonté par des trouées assez considérables pour que des cavaliers puissent y passer, est gardée avec un luxe de précautions militaires du côté de la Save, juste au point où un fleuve d’une très grande largeur et dépourvu de ponts constitue la plus puissante des défenses naturelles. On nous laisse franchir le pont-levis sans même s’inquiéter de la route que nous avons prise pour pénétrer dans la place, et, suivant un instant le cours du fleuve, immense nappe jaunâtre dont les eaux basses, laissent à nu de grandes berges de terre brune dénudées par les eaux et sans végétations, comme les talus d’une fortification neuve, nous entrons dans un faubourg séparé de la ville où s’élève l’hôpital, dirigé par un ami de mon compagnon de route. On renvoie les chevaux je ne sais où, et un homme de police, qui porte sur la poitrine un