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dont toutes les entreprises échouèrent. » Aucun de ses imitateurs ne fut plus heureux que lui. Le joséphisme n’a jamais conduit qu’à des mécomptes, et voilà des expériences qu’il est bon de recommander à la méditation des assemblées et des commissions.

Ce qui se passe depuis quelques années en Prusse et en Suisse est aussi fort instructif. Le roi Frédéric II faisait cas de l’empereur Joseph ; il écrivait à Voltaire : « Ce prince est aimable et plein de mérite ; il aime vos ouvrages et les lit autant qu’il peut. Enfin c’est un empereur comme de longtemps il n’y en a eu en Allemagne ; nous n’aimons ni l’un ni l’autre les ignorans et les barbares. » Il ne laissait pas de juger fort sainement la politique ecclésiastique de Joseph ; il disait de lui : « Mon frère Joseph a le tort de faire toujours le second pas avant d’avoir fait le premier. » Aussi peut-on croire que, s’il revenait au monde, son prodigieux bon sens goûterait médiocrement le remue-ménage qu’on a fait depuis peu dans sa maison et les lois joséphistes qui ont été votées à Berlin.

Le gouvernement prussien était autorisé à prendre des mesures de précaution contre l’église catholique. L’indépendance, la liberté d’allures et la protection dont elle jouissait dans un pays aux deux tiers protestant lui avaient permis d’acquérir une importance excessive, et son envahissante ambition se donnait carrière. Ainsi que l’écrivait l’an dernier l’auteur d’une intéressante brochure[1], elle menaçait de devenir pour l’état, sinon un véritable péril, du moins une gêne et un grave embarras. Le clergé exerçait une grande influence sur l’école primaire ; en maint endroit, les instituteurs étaient à sa merci, et les tendances ultramontaines de l’enseignement étaient de nature à compromettre la paix entre les diverses confessions. Les biens de l’église s’accroissaient continuellement par des fondations ou par des legs. L’administration de ces biens était aux mains des évêques et de leurs chapitres, l’état n’avait rien à y voir, et l’on avait sujet de craindre que ces abondantes ressources ne fussent employées en partie à des fins occultes et dangereuses. Les couvens, les maisons religieuses se multipliaient à l’infini ; une foule de congrégations et de confréries enveloppaient certaines provinces de leur noir réseau. Enfin les jésuites et « les prophètes voilés qui se tiennent derrière le trône » prenaient sur le haut clergé allemand un ascendant toujours plus marqué.

L’état n’a pas seulement le droit, il a le devoir de se défendre. Quoi qu’en puisse dire Calchas, Agamemnon a, comme lui, charge d’âmes ; il a une mission à remplir, un ministère à exercer. De précieux intérêts lui sont confiés, il leur doit la sécurité, et il répond de la paix publique. Si le gouvernement prussien s’était contenté de se défendre, s’il s’en

  1. J. H. von Kirchmann : Der Culturhampf in Preussen und seine Bedenken.