Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une inégalité de situation peu digne de la France vis-à-vis des autres pays, représentés par des ambassadeurs, — il manquerait de crédit, il verrait à peine le souverain pontife, il ne remplirait plus qu’un office de chancellerie. Enverrait-on un agent ecclésiastique ? Ce serait ne rien faire, ce serait envoyer un représentant sans indépendance vis-à-vis de son chef spirituel. Seul, un ambassadeur peut avoir assez d’autorité pour représenter la société civile française auprès du chef de la catholicité, pour régler les questions de toute sorte qui s’élèvent à chaque instant, pour obtenir quelquefois du souverain pontife des interventions utiles, et, seul aussi, dans les circonstances actuelles, un ambassadeur peut être un mandataire suffisant dans l’éventualité d’un conclave. Il ne s’agit nullement ici d’influences cléricales, d’affaires d’église, il s’agit des intérêts moraux de la France, de la paix religieuse à maintenir dans une société assez forte pour sauvegarder son indépendance civile sans rompre avec toutes ses traditions, et à ce titre la république n’a point un autre rôle qu’un gouvernement quelconque. Elle a ses ambassadeurs et elle les gardera sans doute, dût M. Tirard être obligé de renoncer pour le moment à ses réformes diplomatiques.

Jusqu’à quel point cependant cette question de l’ambassade de France auprès du pape se lie-t-elle au changement de la représentation italienne à Paris, au rappel ou au déplacement de M. Nigra ? Il serait certainement étrange que cette proposition Tirard eût été d’une façon ou d’autre l’obscur point de départ, le prétexte insaisissable de cette péripétie diplomatique. C’est un mystère qui s’éclaircira peut-être. Toujours est-il qu’effectivement M. Nigra paraît devoir quitter Paris pour Saint-Pétersbourg, où il arrivera avec la bonne renommée d’un des plus brillans représentans de la diplomatie européenne. Voilà quinze ans déjà que M. Nigra est à Paris, où il avait été envoyé par Cavour au lendemain des grandes révolutions de 1859 et de 1860, et depuis ce moment il n’a cessé de représenter le nouveau royaume parmi nous, dans des heures souvent difficiles pour son pays, à travers des crises effroyables pour la France. Par son habileté, par sa finesse, il a su se tirer de plus d’une situation critique, et en faisant les affaires de l’Italie avec un succès croissant, il n’a jamais caché le prix qu’il attachait aux relations amicales des deux nations. C’est ce qui lui donnait une autorité aimable et persuasive dans des circonstances épineuses qui ne sont pas encore de si vieille date. Ces relations de la France et de l’Italie, il les avait cultivées, améliorées, assurées, et il a la satisfaction de les laisser dans les conditions les plus favorables.

Pourquoi M. Nigra a-t-il été déplacé ? C’est là que commence le mystère. Peut-être grossit-on ce mystère ; peut-être n’y a-t-il en tout cela que des raisons parlementaires d’un ordre assez peu saisissable. De quelques sympathies que M. Nigra fût entouré à Paris, le nouveau cabinet de Rome est assurément le premier juge du choix de ses