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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/328

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fit fermer les étuves ; on ne se baigna plus qu’en pleine rivière pendant les chaleurs de l’été, et au début du règne de Louis XIV l’usage des bains était complètement périmé : on remplaçait l’eau par des essences, les grandes dames elles-mêmes passaient huit jours sans se laver les mains. C’était un véritable méphitisme ; le grand roi, qui s’en ressentait comme tout le monde, fut forcé d’aviser : il donna ordre d’ouvrir des bains publics, et tout Paris y courut. La nation prit l’habitude de se tenir propre, et cette nouveauté en entraîna d’autres. Les femmes, qui jusqu’alors ne s’étaient fait coiffer que par leurs chambrières, se firent coiffer par les barbiers de profession, qui avaient encore, comme au moyen âge, l’entreprise des bains publics. Les coiffeurs et les perruquiers s’établirent à côté de l’antique corporation des barbiers barbons et devinrent des personnages. Le sieur Champagne[1], le plus grand des coiffeurs du grand siècle, fut appelé dans toutes les cours, et comme il le disait lui-même, il travailla sur toutes les têtes royales et princières. Les perruquiers s’associèrent à sa gloire. Ils approvisionnèrent l’Europe de perruques à marteaux, de perruques à l’in-folio, à la crêpe, à l’abbé, à la binette. Un savant théologien, Jean-Baptiste Thiers, fit un gros livre pour prouver que ces chevelures artificielles outrageaient Dieu en dénaturant la personne humaine qu’il avait faite à son image. On ne lut pas son livre, le roi garda l’immense toison qui est restée l’un des traits caractéristiques de sa physionomie et donna même à cette mode ridicule une consécration officielle, en la soumettant à l’exploitation du fisc ; pour jeter quelques centaines de mille francs dans ce tonneau des Danaïdes qu’on appelait le trésor royal, il daigna mettre en vente des offices de contrôleurs de perruques, les bourgeois de Paris s’empressèrent de se les faire adjuger, car, ainsi que le disait le ministre Desmarets, lorsque sa majesté créait une charge, Dieu créait un sot pour l’acheter.

Un luxe extrême dans la noblesse et la grosse bourgeoisie, un dénûment profond dans le bas peuple des villes et des campagnes, tel est le spectacle que présente le règne de Louis XIV. Tandis que les paysans mouraient de faim, les citadins, les Parisiens surtout, s’accordaient tous les agrémens de la vie. On ne s’était servi jusqu’alors que de chars branlans, espèces de tapissières montées sur des essieux très bas, la femme d’un apothicaire du faubourg Saint-Antoine

  1. Les mémoires du XVIIIe siècle contiennent diverses anecdotes sur Champagne, qui était un parfait original. Quand il avait frisé et pomponné l’un des côtés d’une tête, il s’arrêtait tout à coup en déclarant qu’il en resterait là, si sa belle cliente ne lui accordait pas la faveur d’un baiser. Il tutoyait comme de vieilles connaissances les personnes du plus haut rang.