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accord du savoir et de l’action, de la science et de la conscience. »

Les hommes étaient donc prêts, comme les instrumens : longtemps on délibéra sur la meilleure façon d’employer les uns et les autres, et la délibération fut instructive. Des opinions très diverses se trouvèrent en présence. Quelques esprits, se disant pratiques, ne voulaient point qu’on fondât une école à la façon allemande où, sous prétexte de liberté protestante et scientifique, on perdît à la recherche de quelques curiosités vaines le temps qui devait être employé à former de bons serviteurs pour l’état et pour l’église. Ainsi avait pensé Frédéric II, qui eût voulu remplacer les universités par des écoles spéciales où l’enseignement fût réglé par un programme et contrôlé par des examens. D’autres voulaient au contraire épargner à l’institution nouvelle les entraves qui, dans les vieilles universités, gênaient l’exercice de l’absolue liberté de penser, supprimer par exemple les facultés, comme trop favorables à l’esprit de corporation, qui est tout l’opposé de l’esprit scientifique, et se rapprocher autant que possible de l’idéal jadis rêvé par le grand-électeur. La vérité se trouvait entre ces deux opinions extrêmes, car l’université ne pouvait être ni un simple assemblage d’écoles professionnelles, ni cette sorte d’île enchantée dont les habitans, étrangers aux nécessités humaines, contempleraient en toute sérénité l’infini où se confondent, la mer et le nuage.

Le cabinet du roi s’étant adressé à tous les hommes capables de donner un bon avis, il vint de bons avis de tous les côtés à la fois. Nombre d’écrits parurent, pleins d’enthousiasme, de patriotisme, d’espérance. Partout on y retrouve la conviction qu’un état qui a gardé, dans l’extrémité où il est réduit, de telles préoccupations intellectuelles ne saurait périr, et que cette aspiration « vers les hautes régions » est le gage d’une résurrection et d’un brillant avenir. « Terre ! terre ! je vois la terre ! » s’écrie Reil, écrivant à Nolte. « Je suis ivre de joie, écrit Loder à Hufeland, à la pensée que le roi ouvre l’ère nouvelle de la monarchie prussienne en aidant au développement de la culture scientifique dans notre pays. C’est un Dieu qui a mis au cœur de notre roi cette pensée, que la réforme de l’état doit commencer par une éducation meilleure de la génération à venir, et que cette éducation doit être à la fois scientifique et morale. » Une de ces lettres privées et publiques, qui étaient comme autant de consultations au sujet de la future université, portait comme épigraphe cette maxime, qui était dans le cœur de tous : « Il ne faut jamais désespérer de la république ! » Mais les deux opinions les plus considérables furent celles de Fichte et du pasteur Schleiermacher, un des hommes qui ont le mieux possédé le don d’agir sur les autres hommes, parce qu’étant à la fois érudit