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administrateurs de l’université, qui se gouvernera elle-même, car « l’esprit scientifique est démocratique de sa nature. » A côté de l’université nouvelle, que Fichte voulait unique, subsisteront les anciennes : le monopole est une contrainte, et il est fatal à la science, à laquelle profitent les libres débats d’écoles rivales.

Schleiermacher examine à la fin si Berlin est un lieu bien choisi pour être le siège d’une université. Déjà la question avait été vivement discutée dans les conférences et publications sur la matière. Beaucoup d’objections avaient été faites contre Berlin. Les étuuians, qui ne sont pas riches en Allemagne, ne fuiraient-ils pas une ville où le loyer et la nourriture étaient à si haut prix ? Les facilités que le vice trouve toujours dans une capitale, et à Berlin autant qu’en une autre ville du monde, n’étaient-elles point à redouter pour la moralité de la jeunesse allemande ? Le professeur ne serait-il point un peu perdu dans la foule, lui qui était à Göttingen et à Halle par exemple une manière de personnage ? L’éclat du trône ne nuirait-il pas à la chaire ? L’étudiant, ce tyran des petites villes, sur le pavé desquelles il faisait sonner ses bottes et laissait tramer son grand sabre, garderait-il dans la résidence royale, sous l’œil de la police et de la haute magistrature, les immunités juridiques et tant de sottes coutumes outrecuidantes et pédantesques dont il était si fier et qui le distinguaient du bourgeois, qu’on appelle en Allemagne le philistin ? Telles étaient les craintes des admirateurs des vieilles coutumes. Les hommes sérieux répondaient que, pour avoir une école vivante, il la fallait placer là où était la vie, c’est-à-dire à Berlin, car dans cette ville, où se traitaient les plus grandes affaires, et se produisait chaque jour quelque question nouvelle, les maîtres ne pourraient s’endormir, et les théories surannées fuiraient devant la lumière. Quant aux étudians, il n’y avait. point de mal à ce qu’ils laissassent le grotesque attirail de leurs corporations tapageuses, et se confondissent dans le grand courant de la population berlinoise. Schleiermacher résuma le débat et dit le dernier mot : il reconnut que le choix de Berlin n’était point sans dangers ; mais il voulut qu’on tînt compte de la situation présente de l’état. La création d’une université dans la capitale servirait la cause nationale : voilà qui décidait tout, et le philosophe terminait par ces prophétiques paroles : « Quand sera fondée cette organisation scientifique, elle n’aura point d’égale ; grâce à sa force intérieure, elle exercera son empire bien au-delà des limites de la monarchie prussienne : Berlin deviendra le centre de toute l’activité intellectuelle de l’Allemagne septentrionale et protestante, et un terrain solide sera préparé pour l’accomplissement de la mission qui est assignée à l’état prussien. »