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Que les Phéniciens aient connu les Canaries, Madère, les Açores, il y a lieu de l’admettre. Quelques-uns de leurs navires auraient même été poussés par la tempête jusqu’aux rivages d’une île mystérieuse traversée par des fleuves navigables et peuplée d’hommes qui vivaient dans l’abondance. Cette île est-elle l’Amérique ? Les souvenirs anciens des indigènes du Nouveau-Monde s’accordent-ils avec Se récit fantastique ? Lorsque Fernand Cortez envahit le Mexique, les habitans de ce royaume l’accueillirent comme s’ils attendaient son arrivée. Montézuma lui-même avoua que des hommes blancs, barbus et fort industrieux étaient annoncés par la tradition. Il en était venu jadis, ils étaient partis en disant qu’ils reviendraient. Deux légendes avaient cours à ce sujet. A une époque inconnue, mais fort reculée, un héros nommé Quetzalcoatl avait débarqué dans le fleuve de Tampico, venant de l’Orient avec ses compagnons. Ces étrangers payèrent l’hospitalité qu’on leur avait donnée en enseignant au peuple l’art de travailler les métaux et de sculpter les pierres ; puis ils repartirent en promettant de revenir. Quetzalcoatl aurait été l’initiateur des Mexicains. Un autre héros, Votan, aurait joué le même rôle chez les nations mayas. Arrivé par mer avec de nombreux émigrans, il aurait soumis toutes les tribus de l’Amérique centrale et leur aurait imposé des lois ; puis il serait retourné dans son pays natal et en serait revenu après avoir visité Rome, Jérusalem et la tour de Babel. C’est du moins ce que racontait en 1691 Francisco Nunez de la Vega, évêque de Chiapa, d’après un manuscrit hiéroglyphique que les Indiens se transmettaient de main en main depuis vingt siècles, à l’appui de quoi certains commentateurs modernes font observer que l’art grec ne désavouerait pas les édifices de Palenqué, ville construite par Votan, et qu’il y a dans les mythes mayas bien des analogies avec les religions et les mœurs de l’antiquité phénicienne ; mais il n’y a dans tout cela nulle preuve précise ; la langue, le plus sûr guide des recherches antéhistoriques, ne révèle aucune parenté lointaine entre les peuples dont il s’agit. Il n’y a là par exemple rien de comparable aux rapprochemens ingénieux que l’érudition moderne a constatés entre le sanscrit ou le zend d’une part, et le latin ou l’allemand de l’autre. Il n’est pas sérieux de prétendre que le nom de cannibales vient du carthaginois Hannibal ; il est insuffisant de dire qu’en Phénicie, de même qu’en Amérique, les sacrifices humains étaient en honneur, et que dans les deux pays on jetait les enfans au feu pour apaiser le courroux des dieux[1].

  1. . M. Bancroft raconte que l’on avait trouvé dans son pays natal une pierre sculptée sur laquelle les savans de l’endroit prétendirent distinguer des caractères hébraïques. Il ajoute avec esprit que ces hiéroglyphes n’avaient de commun avec l’hébreu que d’être également indéchiffrables pour ceux qui avaient fait la découverte. L’archéologie américaine a par malheur été étudiée surtout par des hommes qui n’avaient aucune notion scientifique.