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européenne, furent des Espagnols ou des Indiens frais convertis à la religion chrétienne, que tourmentait le désir d’accorder ces légendes avec les récits bibliques. Presque toutes les tribus de l’Amérique septentrionale racontent que leurs ancêtres sont venus du nord, ou de l’est, ou de l’ouest, que le voyage fut long, qu’il fallut traverser de vastes plaines, des lacs, de hautes montagnes. En quel sens tout ceci doit-il être entendu ? Ce lac est-il l’Atlantique ? Ce long voyage a-t-il duré des jours ou des mois ? Pour quiconque n’a aucune idée des dimensions de notre planète, les bornes de l’horizon sont le bout du monde. Les traditions locales mentionnent presque toutes un grand déluge, auquel quelques hommes auraient seuls échappé par la protection divine. Ceci est trop vague pour que la science archéologique en puisse faire la base d’une théorie plausible. Les chroniques péruviennes parlent de géans qui seraient arrivés par mer et, après avoir dompté les indigènes, auraient construit des édifices magnifiques. Au Mexique, il est question d’hommes blancs, très barbus, vêtus de longues robes, qui seraient arrivés. de l’Orient ; ces mystérieux missionnaires auraient enseigné aux habitans du pays l’architecture, les arts utiles, une nouvelle religion, après quoi ils seraient repartis à l’improviste sans qu’on ait su ce qu’ils étaient devenus.

Cependant il n’en a pas fallu davantage pour que l’on cherchât en Europe ou en Asie les origines de la civilisation américaine. Parmi les hypothèses émises, il en est trois qui se présentent avec plus de chances de succès : la civilisation qui a produit les monumens de Copan et de Palenqué serait venue de l’est avec les Phéniciens, ou du nord avec les Scandinaves, ou de l’ouest avec les Chinois. Examinons l’une après l’autre chacune de ces hypothèses, en commençant par la moins vraisemblable, celle qui attribue à des navigateurs sémitiques la découverte anticipée de l’Amérique.

Il n’est pas contesté que les Phéniciens furent les meilleurs marins de l’antiquité. Des colonies qu’ils fondèrent sur les rives de la Méditerranée, on en retrouve les débris soit dans les souvenirs de chaque pays, soit dans la nomenclature géographique, soit encore dans les récits que nous ont légués les écrivains grecs ; mais ces navigateurs étaient jaloux de tenir leurs découvertes secrètes, comme le furent deux mille ans plus tard les Espagnols et les Portugais. Ils cachaient avec soin leurs expéditions au dehors du monde méditerranéen, qui était alors le monde connu. On raconte que les relations de voyages entrepris au-delà des colonnes d’Hercule étaient déposées à Carthage dans un temple que les Romains détruisirent avec Carthage elle-même, se rendant coupables ainsi d’un acte de vandalisme qui nous a privés sans doute de précieux renseignemens sur la géographie des temps primitifs.