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l’élément surnaturel, dont le compositeur a négligé d’éclairer son cantique. De toute façon, cette espèce de confusion aurait pu être évitée par un simple jeu de mise en scène ; il eût suffi d’entr’ouvrir un coin du ciel et de nous montrer dans l’azur les saintes femmes et saint Michel archange. Le deuxième acte nous transporte à Chinon. Tandis que son royaume s’effondre de partout, le gentil dauphin de France, suspendu aux lèvres d’Agnès Sorel, attend que sa douce maîtresse lui donne le la ; si vous aimez les cavatines à l’italienne, c’est le moment : cavatine du roi, chanson à boire, air de bravoure d’Agnès surchargé de vocalises, agrémenté de roulades imitant l’appel du clairon, morceau très brillant en somme, et que Mlle Daram enlève avec une certaine crânerie.

Au troisième acte, l’intérêt musical se réveille. Le mouvement du drame, l’entrain pittoresque amènent les bons numéros. Le trio entre Agnès, le traître Richard et l’astrologue a bien son prix. Cette phrase du nécromancien, lisant dans les étoiles la mort d’Isabeau de Bavière et reprise en canon par les autres personnages, rappelle pour le ton sinistre et prophétique un passage de Roland resté célèbre : Roncevaux, vallon triste et sombre. Vient ensuite la romance de Gaston contemplant Jeanne endormie et soupirant : Qu’elle est belle ! comme Robert le Diable en arrêt devant sa princesse, — mélodie que M. Salomon dit à merveille. L’épisode de l’orgie avec l’étourdissant ballet qui le complète est une des plus grandes curiosités de la soirée et dans ce succès de décors, de costumes et de mise en scène, le musicien peut, à bon droit, revendiquer une large part. Ces thèmes qui se croisent et se combinent, ce mélange d’archaïque et de moderne, répondent singulièrement au caractère picaresque de la situation, c’est du Callot très réussi. Le motif sur lequel entre ou plutôt bondit en scène Mlle Amélie Colombier, pétulante, intrépide, toute joyeuse et triomphante de ses quinze ans, et déjà l’œil fixé sur son étoile qui danse au firmament, — ce motif est des mieux trouvés, plein de grâce et de belle humeur, et lorsqu’il reparaît vers la fin dans le tourbillon de la bacchanale, vous pensez à la Marche turque de Mozart, instrumentée par Auber pour le ballet de don Juan, et à l’effet qu’il en a su tirer dans le branle-bas général de la conclusion. Quant au Veni Creator, chanté d’abord par Jeanne, puis repris à pleine voix par les soldats et les prêtres, c’est à mon sens le morceau capital de l’œuvre, et ce que j’appellerais le couronnement de l’édifice, attendu que le quatrième acte, tout entier aux processions, aux pompes et cérémonies du sacre, ne peut guère figurer que comme un magnifique épilogue décoratif. Comment se fait-il qu’on ait tenu si peu compte de ce morceau capital, et que le même public qui jadis acclamait le cri de guerre de Roland reste froid à ce déploiement de toutes les sonorités de l’orchestre et des chœurs manœuvrant sous l’inspiration d’une Gabrielle Krauss !

Ici se présente une question toute personnelle et qui pourrait