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s’appeler le cas de M. Mermet. Bien avant le premier soir la malveillance se donnait carrière, partout déjà circulaient les méchans bruits, les pronostics funestes, lorsque vint la répétition générale qui, donnée dans des conditions désastreuses, devait porter à l’ouvrage un si rude coup. La première représentation fut moins mauvaise qu’on aurait pu le craindre ou le souhaiter, selon le point de vue où ton se place ; mais le lendemain, justes dieux ! quel déchaînement de critiques acerbes ! Un véritable malfaiteur n’aurait pas trouvé des juges plus impitoyables. C’est que M. Mermet a, je le crains, un tort immense par le temps qui court : il n’est membre d’aucun conservatoire, d’aucune coterie, d’aucun groupe ; jamais il ne fut prix de Rome ni saint-simonien. M. Mermet ne se réclame de personne, et personne ne le réclame, sauf quelques rares amis soigneusement choisis en dehors des musiciens, Eugène Forcade, Émile Augier, etc. Sur cette asphalte parisienne où s’agitent et se culbutent tant de compétitions dévorantes, il va seul placidement son chemin, « son petit bonhomme de chemin, » dirait Gautier ; étranger aux questions du jour, il s’inquiète aussi peu du wagnérisme que du jacobinisme. Timeo hominem unius libri, M. Mermet est bien cet homme-là, son livre à lui change quelquefois de titre, jamais d’auteur. En 1846, ce livre s’appelait le Roi David ; seize ans après, il s’intitulait : Roland à Roncevaux, aujourd’hui il a nom Jeanne d’Arc. Tandis que les autres vont en guerre et se ruent à la croisade, M. Mermet, imperturbable, compose et minute son opéra, et, quand il a fini de l’écrire, il le fait jouer, chose plus difficile, et qui ne laisse pas de lui donner un certain avantage sur l’énorme quantité de gens qui font des opéras qu’on ne joue pas. Aussi n’a-t-il guère à compter sur l’indulgence de la galerie : trois ouvrages représentés à l’Académie nationale, sur le premier théâtre du monde, trois opéras, presque un répertoire, quand on ne s’appelle ni Meyerbeer, ni Rossini, ni Halévy, ni Auber, trois opéras dont un Roland à Roncevaux, compte pour un grand succès et pendant cinquante représentations a fait le maximum des recettes. De tels griefs ne se pardonnent point, et M. Mermet, honni, rabroué, n’a que ce qu’il mérite. Par bonheur, le public n’épouse pas ces querelles d’Allemands, l’excès dans l’attaque a ses réactions, et Jeanne d’Arc profite aujourd’hui d’un de ces mouvemens en sens contraire ; mais que sont de tels argumens contre la malveillance, qui soutiendra toujours que cette affluence a pour raison la splendeur du spectacle, et que les applaudissemens ne visent que la cantatrice ?

Sur la personne physique de Jeanne d’Arc, la chronique et l’imagerie nous réduisent aux conjectures : en fait de portraits, rien d’authentique, et la seule manière de se représenter la Pucelle d’Orléans est encore de rapprocher entre eux divers traits épars et flottans dans les procédures relatives aux gestes de son existence. Nous apprenons ainsi qu’elle était de taille moyenne, svelte et vigoureuse, bien formée, bien plantée, avec