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pénultième du rhythme commence à perdre de son prestige ; mais dans l’acte du sacre, quel souverain ! comme il s’entend à manier le sceptre et la couronne, à jurer sur les évangiles, comme il harangue son peuple et le bénit bien ! Il est à lui seul toute la cérémonie, et lorsqu’il s’agenouille sous le dais pour recevoir la sainte ampoule des mains de l’archevêque de Reims, on dirait qu’il n’a fait que cela toute sa vie.

Débuts modestes et progrès soutenus aboutissant au développement complet des facultés du maître, c’est histoire de la plupart des grands artistes de notre ancienne école française. Aujourd’hui la théorie gouverne le monde et chacun prétend dès l’abord s’affirmer en réformateur. De technique traditionnelle, il n’en existe plus, mais nous avons le style expérimental, le style subjectif, en d’autres termes, une manière d’éclectisme qui va de Boïeldieu, d’Hérold et d’Auber à Richard Wagner en passant par Donizetti, Weber, Meyerbeer et Verdi, — le style Gounod, une forme mélodique indécise, flottante, toujours la même, sans mouvement et sans couleur, qui recherche de préférence les salles de concert et s’y épanouit en oratorios, suites d’orchestre et grandes conceptions mirifiques. Quant à ce qui regarde le théâtre, c’est autre chose ; comme on n’y réussit qu’à certaines conditions, ceux qui s’en rapprochent sont d’ordinaire les mieux doués et les plus habiles, qu’ils se nomment Bizet, l’auteur de Carmen, ou Guiraud, l’auteur de Piccolino. Eux aussi ont leur façon d’écrire, leur style subjectif, ce qui ne les empêche pas, en montant sur la scène, de mettre la théorie de côté et de parler une langue en rapport avec les goûts du public non moins qu’avec la science ayant cours. M. Guiraud semble avoir enfin trouvé sa voie, et certes, par tant de travaux et d’essais multipliés, il l’a bien mérité. Goethe assurait qu’on n’arrive jamais à produire une œuvre qu’après en avoir raté au moins dix. Faut-il porter au compte des œuvres avortées les divers opéras-comiques en un ou deux actes donnés soit à Favart, soit à l’Athénée : Sylvie (1864), le Kobold (1870), Madame Twrlupin (1872) ? Je me garderai de me prononcer là-dessus ; mais je reconnais volontiers que le ballet de Gretna-Green, représenté a l’Opéra en 1873, est une composition musicale pleine de distinction et qu’il n’y a qu’à louer dans la suite d’orchestre exécutée au Cirque-d’Hiver et dont le finale, intitulé Carnaval, figure au troisième acte de Piccolino. Le nouvel ouvrage de M. Guiraud ne contient pas moins de vingt-trois morceaux, autant dire que la musique y déborde ; ajoutons qu’elle a de plus le tort de se produire presque constamment à l’état épisodique. Le premier acte est une sorte d’oratorio monotone où la fête de Noël célébrée en famille et le défilé des rois mages servent de prétexte à des trios, à des quatuors, à des chœurs, en un mot à de la musique pour de la musique. Viennent ensuite les intermèdes idylliques, bouffes, carnavalesques et tragiques, car il y a de tout dans ce mélodrame : des cantiques, des coups de poignard et des scènes de rapins. Convenons que voilà un fier cadeau que M. Sardou a fait au musicien,