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l’avoir manqué. Et si la femme qui lirait ce livre, arrivée au déclin d’une existence sans reproche, cherchait surtout à affermir son âme contre l’inexorable fatalité de la mort, sous quel aspect plus doux la mort pourrait-elle lui apparaître que dans cette page animée d’un souffle vraiment chrétien : « Je me figure que cette femme aimée, par un beau jour d’hiver, un doux soleil, ayant eu quelque peu de fièvre, faible, mais mieux pourtant, veut descendre s’asseoir au jardin. Au bras de sa charmante fille d’adoption, elle va revoir dans leurs jeux les chères petites qu’elle n’a pas vues de huit jours. Les jeux cessent. Elle a autour d’elle cette aimable couronne, les regarde, les voit un peu confusément, mais les caresse encore et baise celle de quatre ou cinq ans. Souffre-t-elle ? nullement ; mais elle distingue moins. Elle veut voir surtout la lumière un peu pâle, qui pourtant se reflète dans ses cheveux d’argent. elle y tend son regard, en vain, voit moins encore. Je ne sais quelle lueur a rosé ses joues pâles, et elle a joint les mains… Les petites de dire tout bas : « Ah ! comme elle a changé ! Ah ! qu’elle est belle et jeune ! » Et un jeune sourire en effet a passé sur ses lèvres ! comme d’intelligence avec un invisible esprit. C’est que le sien, encouragé de Dieu, a repris son vol libre et remonté dans un rayon. »


V

Si les livres dont je viens de parler n’avaient beaucoup contribué à entretenir la réputation de Michelet, et à rajeunir la popularité de son nom, on pourrait les considérer comme un accessoire dans l’œuvre considérable de la seconde moitié de sa vie. Ni ses études d’histoire naturelle, ni ses préoccupations physiologiques ne le détournèrent en effet de l’achèvement de son Histoire de France. Il dut en reprendre le récit où il l’avait laissé, pour commencer brusquement celle de la Révolution française, c’est-à-dire à la mort de Louis XI, et il en continua la publication d’année en année jusqu’à ce qu’il eût atteint la convocation des états-généraux en 1789. Si aux dix-sept volumes de cette histoire on joint ceux qu’il a consacrés à la révolution française, on se trouve en présence d’une œuvre qui dans son ensemble ne comprend pas moins de vingt-quatre volumes, auxquels il faut même ajouter les trois qu’on vient de faire paraître, et qui contiennent les premières années du XIXe siècle. C’est là assurément un monument considérable, et la vie entière d’un homme n’est pas de trop pour l’édifier. Parmi les ouvrages qui ont été écrits avec les ressources et les documens de la critique moderne, il n’y a guère que l’histoire de M. Henri Martin qui puisse lui être comparée. À laquelle de ces deux histoires