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d’un autre un peu plus haut, pour marquer la taille et la tête, puis l’embrasser tendrement et le bercer en lui disant à voix basse : « Toi, tu m’aimes, tu ne me grondes jamais. » A cet âge incertain où les premiers rêves de la jeune fille font battre le cœur de l’enfant, n’est-ce pas elle-même qu’elle croirait voir passer dans cette page : « Elle venait d’avoir quatorze ans, en mai. C’étaient des premières roses. La saison, après quelques pluies, désormais belle et fixée, étalait toutes ses pompes. Elle aussi avait eu de la fièvre et quelques souffrances. Elle sortait pour la première fois, un peu faible encore, un peu pâle. Une imperceptible nuance d’un bleu finement teinté, d’un faible lilas peut-être, marquait ses yeux… Elle rejoignit ses parens au jardin. Pour la première fois peut-être depuis bien longtemps, ils la mirent entre eux. Quand elle était toute petite et apprenait à marcher sans être tenue, elle avait besoin de les sentir ainsi à portée de droite et de gauche. Mais ici, devenue grande et presque autant que sa mère, « elle sentit, bien doucement que c’était eux qui avaient besoin de l’avoir entre eux. Ils l’enveloppaient de leur cœur et d’un amour si ému que sa mère avait peine à s’empêcher de pleurer… On n’entendait plus de chants, car c’était déjà le soir, mais quelques légers bruits d’oiseaux, leurs derrières causeries intimes en se serrant dans le nid. Les uns bruyans et pressés, tout joyeux de se retrouver. D’autres plus mélancoliques, inquiets des ombres de la nuit, semblaient se dire : « Qui est sûr de se réveiller demain ? » Le rossignol confiant regagna son nid presque à terre, croisa l’allée presqu’à leurs pieds, et la mère émue lui dit ce bonsoir : « Dieu te garde, mon pauvre petit. »

Quelle vivacité de souvenirs ne réveillera pas en elle le chapitre intitulé : « Tu quitteras ton père et ta mère. » N’a-t-elle pas, elle aussi, un jour dit adieu « à la maison natale, à ses sœurs, à ses fleurs, aux oiseaux favoris, aux animaux chéris ? » N’a-t-elle pas désiré et pleuré, compté les jours, et, le jour venu, trouvé que c’était trop tôt ? Au moment de suivre l’époux, n’a-t-elle pas regretté l’amant, la chambre où elle le rêva, la table où elle lui écrivit ? De son bonheur nouveau, n’a-t-elle pas jeté un regard « à ce monde de soupirs, de songes, de vaines craintes dont se repaît la passion et regretté jusqu’aux douceurs amères qu’elle trouva souvent dans les pleurs ? » Ce petit recueil la ferait repasser par toutes les émotions de sa vie, aussi bien par les joies presque enfantines du premier foyer domestique que par les joies sérieuses du premier enfant. Peut-être même serait-elle effrayée d’y trouver comme un écho indiscret de ces chagrins qu’on ne confie qu’à soi-même : les regrets du milieu de la vie, le sentiment du bonheur incomplet, la tristesse des âmes atteintes du mal de l’infini qui meurent de