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en les groupant avec art et en les mettant tous en action. Si M. Delort vous vient en aide, vous ferez un tableau devant lequel on s’attroupera et que vous intitulerez : Après le déjeuner, souvenir du mariage de Mlle L….. Comme on sent bien que tous ces gens ont déjeuné, et que c’était un déjeuner de noces ! On a célébré tout à l’heure une cérémonie, on avait pris un air de circonstance, on le quitte, on sort de ses plis, on se chiffonne un peu ; on était tiré à quatre épingles, on en ôte au moins deux. C’est ainsi que, dans un agréable tableau, d’un joli ton et d’une bonne facture, où il a représenté le Retour de l’enterrement, M. Béraud nous montre les gens de l’honneur qui, aussitôt quittes envers le mort, retournent lestement à leurs affaires. L’un d’eux, tout en marchant, allume un cigare ; le premier cigare qu’on fume après un enterrement a une saveur toute particulière. On fume aussi dans le Souvenir du mariage de Mlle L…., et les cigares sont bons. Quel dommage que les personnages de M. Delort semblent avoir été rapportés après coup dans ce pré vert où ils font leur digestion ! On dirait des découpures appliquées sur le paysage. Nous craignons qu’on ne les vole et que le pré ne reste vide. C’est une crainte que nous n’avons jamais éprouvée devant un tableau des petits Hollandais.

Le triomphe, le feu d’artifice de l’article-Paris est l’étourdissant Marché aux fleurs de M. Firmin Girard, peintre patenté des bouquets et des bouquetières, qui cette année s’est surpassé. Son tableau fait événement ; il faut jouer des coudes pour s’en approcher. C’est la fête du printemps. Rien de plus gracieux, de plus lumineux, de plus gai, de plus réjouissant que ces fouillis de fleurs entassées des deux côtés du quai, que les marchandes qui les vendent, que les pratiques qui les achètent. Au premier plan, on voit un enfant qui porte un rosier ; il a l’air de tenir le printemps dans sa main. Tout cela brille, reluit, papillote ; c’est un éblouissement, c’est un charme. C’est même trop charmant, trop luisant, trop propre ; la nature n’est jamais si propre que cela, elle a plus de laisser-aller et ne craint pas de se salir. La reine Marie-Antoinette aurait voulu mettre un loup dans les bergeries de Florian ; nous voudrions mettre une tache quelque part dans le Marché aux fleurs de M. Firmin Girard. Il ne nous laisserait pas faire, ce n’est pas son goût ; non-seulement sa peinture est fraîche comme l’œil, elle aime à s’endimancher. Ses marchands de coco eux-mêmes ont une chemise irréprochable, et leur fontaine, aux cuivres bien fourbis, est toute neuve. Comme cette fontaine, marchandes et pratiques, passans et passantes, tous les visages qu’on aperçoit par là sont battant-neufs ; on voit bien que c’est la première fois qu’ils servent, on les a tirés d’une boîte tout exprès pour vous les montrer.

M. Clairin a fait une gageure et un tour de force. Il a pris bien