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chevalier de fortune ! De quel drame final elles témoignent bien souvent lorsque, retrouvées en nombre au pied de quelque vieille ruine, elles viennent pour la millième fois raconter un de ces faits, incessamment renouvelés dans cette période violente entre toutes, d’attaque subite, de défense désespérée, de fuite précipitée, d’enfouissement de trésors qu’on espère aller rechercher dans des temps meilleurs et qu’on ne recherchera jamais ! Et ce n’est pas de France seulement qu’on découvre des monnaies aux pays de la croisade ; chaque nation d’Occident a fourni son contingent : les pièces des rois de Castille et d’Aragon s’y rencontrent mêlées à celles des empereurs d’Allemagne, des archevêques de Cologne ou de Mayence, des rois de Hongrie, des Pisans, des Vénitiens et des Génois, à celles des rois d’Angleterre, confondues enfin avec les pièces à types byzantins des Normands de Naples, de Salerne et de Bénévent. Il n’est pas jusqu’aux croisés des rives de la Baltique qui n’aient laissé, sous la forme des monnaies de leurs princes, une trace palpable de leur séjour aux pays du Levant. Enfin ce n’est point uniquement en terre-sainte qu’on surprend ces débris d’un autre âge : les routes principales suivies pendant des siècles par les grandes armées de la croisade et par ces groupes de pèlerins qui s’acheminaient pour ainsi dire journellement vers l’Orient en sont comme semées. Sur tout le trajet que suivaient les croisés, soit pour gagner Constantinople et de là Antioche à travers les dangers sans fin de l’Asie-Mineure, soit pour aller s’embarquer dans les principaux ports d’Italie, la pioche ou la charrue mettent de temps à autre à découvert quelques-unes de ces monnaies étrangères appartenant à l’époque des expéditions du Levant. Tantôt on les retrouve isolées, tantôt, et le plus souvent, en nombre considérable, constituant ce qu’on appelle en termes d’archéologie des trésors.

Ces épaves des croisades, laissées sur les grandes voies qui conduisaient d’Occident en Orient, ne sont pas un des témoignages les moins curieux de ces immenses et pénibles voyages qu’entreprenaient avec une insouciance naïve, avec une merveilleuse énergie, les populations les plus reculées, habitant les côtes de la Mer du Nord, ou les contrées plus lointaines encore voisines des glaces du pôle. Parmi bien des faits de ce genre, nous n’en citerons qu’un seul rapporté par M. A. Morel-Fatio. En 1861, pendant que l’administration du chemin de fer faisait exécuter la profonde tranchée qui sépare aujourd’hui la ville de Vevey, en Suisse, de son ancienne église de Saint-Martin, des enfans trouvèrent un coffret contenant un nombre assez considérable de petites monnaies d’argent muettes, c’est-à-dire sans légendes ; elles étaient barbares, grossièrement fabriquées et couvertes de types bizarres. Après quelques hésitations,