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rançon du roi et des seigneurs tombés aux mains des Sarrasins, ou à acheter la trahison des émirs et des gouverneurs arabes ?

Il y a peu d’années, on était encore dans une ignorance absolue de toute cette portion de l’histoire monétaire des croisades, et c’était vainement qu’on cherchait la monnaie d’or des princes chrétiens de Syrie. Il semblait impossible que leurs ateliers n’eussent pas frappé des pièces de ce métal indispensable à tout mouvement commercial de quelque importance ; mais comme ces pièces ne s’étaient pas rencontrées encore, on en était réduit à supposer que toutes ces transactions se réglaient au moyen de l’or byzantin nu sarrasin. Cependant on ne pouvait s’expliquer comment, à côté de ces mots : besans sarrasins, figure sans cesse, dans les actes du temps, cette autre expression de besans sarracénats, que l’on pourrait traduire par : besans imités des besans sarrasins. On retrouvait également à chaque page ces autres expressions : besans au poids d’Acre, besans au poids de Tripoli, besans au poids de Tyr. Ce sont précisément les grandes villes commerçantes où étaient installés les plus riches comptoirs italiens et où s’était concentrée la majeure partie du mouvement des affaires en Orient.

Jusqu’à ces dernières années, on était donc d’accord sur un seul point : c’est que les croisés n’avaient point frappé de monnaie d’or dans les mêmes conditions et aux mêmes types que leurs pièces de cuivre et de billon. On supposait que toutes les transactions de quelque importance devant aboutir plus spécialement aux commerçans musulmans, les Latins établis en Orient s’étaient gardés de frapper une monnaie d’or dont les types chrétiens eussent été mai vus des Orientaux. Or il est aujourd’hui constant que les croisés ont fait frapper en quantités énormes des besans d’or, et que ce sont ces besans qui sont désignés par ces mots : au poids d’Acre, de Tyr, de Tripoli, suivant qu’ils ont été frappés dans l’une de ces trois villes ; mais, chose étrange, on a découvert qu’afin de faciliter les transactions avec les Arabes, ces besans chrétiens frappés en Orient furent de serviles imitations des pièces d’or sarrasines, Ce sont les mêmes légendes célébrant Allah et Mahomet et indiquant les noms des califes avec la date de l’hégire. De là cette expression mystérieuse de besans sarracénats, ou besans frappés à l’imitation des pièces sarrasines.

Voilà donc pourquoi on n’avait jamais retrouvé encore cette monnaie d’or des princes croisés ; voilà pourquoi on n’aurait même jamais pu la distinguer de la monnaie d’or arabe, si l’inhabileté des ouvriers latins n’avait souvent produit des imitations par trop maladroites. Cependant, même avec ce signe diagnostique, il sera toujours difficile d’affirmer que tel besant, portant le nom d’un calife, a bien été forgé au Caire ou à Bagdad, et non point à Tyr ou à