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Don par la colonie vénitienne de la Tana, qu’a remplacée aujourd’hui la moderne Azof, Caffa tenait entre ses mains l’abondance ou la disette de tous les pays riverains de la Mer-Noire et du Bosphore. Il y eut une époque, vers 1400, où Caffa compta jusqu’à 5,000 demeures de négocians européens.

Malheureusement les Génois n’étaient pas seuls en possession de la Crimée. ils y avaient de puissans et incommodes voisins, et les chefs tartares de la Horde-d’Or, ces grands khans du Kipchak, qui régnaient sur toute la partie orientale de la Russie méridionale, avaient en Chersonèse un lieutenant, le khan de Crimée, dont la résidence était à Soldaya, capitale mogole de la péninsule. Les Tartares formaient une nation plus civilisée qu’on ne serait porté à le croire ; elle était sédentaire et se livrait en masse à l’agriculture, dont les produits devenaient l’objet d’échanges entre eux et les trafiquans de Caffa. Les Génois avaient un consul à Soldaya, auprès du khan de Crimée, et celui-ci entretenait à Caffa un fonctionnaire chargé de la protection de ses nationaux et de la perception de certains droits. Les rapports des Génois avec les Tatares ne se bornèrent pas toujours à ces relations pacifiques ; il y eut de vifs et sanglans démêlés, et les vieilles murailles de Théodosie, encore debout aujourd’hui avec leurs écussons des anciens consuls génois, virent plus d’une fois s’élancer à l’assaut les sauvages guerriers de la Grande-Horde. Souvent même les Génois eurent à payer de lourds tributs aux Tatares de Crimée.

Le commerce considérable que les négocians de Caffa entretenaient avec les sujets du khan nous explique l’existence des curieuses petites monnaies qu’on retrouve de temps à autre sur le littoral septentrional de la Mer-Noire. Ces monnaies sont d’argent et portent d’un côté les armes parlantes de Gênes : une porte de ville, janua, d’où la grande cité a pris son nom ; autour de cette porte, on lit en lettres latines le nom de Caffa et les initiales de ce consul annuel que la jalouse métropole envoyait pour la représenter à la tête de l’administration de la colonie. Chaque printemps, ce magistrat arrivait à Caffa, à la tête d’une flotte guerrière chargée de fonctionnaires nouveaux et de troupes fraîches, et destinée à ramener aux rives génoises les trésors amassés pour la république par ses enfans sur les bords du Pont-Euxin et de la mer d’Azof. Sur l’autre face de ces monnaies, une légende en caractères arabes nous fait connaître le nom du khan de la Horde-d’Or ; au centre apparaît un signe de forme bizarre, assez semblable, lui aussi, à une porte de ville : c’est l’emblème, le tamgha, du chef mogol. Dans quelles circonstances ont été frappées ces étranges monnaies ? fut-ce simplement pour faciliter les transactions commerciales entre les Génois et leurs voisins, ou bien faut-il y voir un signe de vasselage ?