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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/645

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d’intéresser, d’associer l’opinion à la réalisation progressive, d’une pensée toujours en travail. Cavour disait quelquefois : « Je veux bien précéder le pays et même le stimuler ; mais le pays doit me seconder ; entre lui et moi, il ne doit point y avoir de solution de continuité. Le jour où cette solution existerait, non-seulement je ne pourrais plus me flatter de faire prévaloir mes plans politiques, mais je devrais cesser d’être ministre. » Précéder, diriger l’opinion, sans cesser d’être en contact, avec elle, en sachant l’attendre au besoin, c’était tout son secret, le secret d’un grand libéral, qui n’arrivait à s’assurer la confiance volontaire de son pays que parce qu’il se conduisait en promoteur prévoyant et habile d’une œuvre nationale, non en homme de parti ou de faction. C’était sa manière d’entendre ce régime parlementaire dont il s’était servi si heureusement pour faire un premier pas, dont il avait plus que jamais à se servir, au lendemain du congrès de Paris, dans une politique qui embrassait à la fois l’action intérieure et l’action extérieure, le Piémont, l’Italie et l’Europe. Sur ces trois points, il avait à concentrer ses efforts dans une période nouvelle au terme encore inconnu.


II

La position que le cabinet de Turin avait conquise par sa coopération à la guerre de Crimée et aux négociations générales de la paix avait certes de quoi flatter, l’orgueil d’un petit pays. Il s’agissait de la maintenir, de la fortifier et de l’étendre pour aller plus loin. Cavour sentait parfaitement qu’il n’y avait plus à s’arrêter, qu’après avoir élevé le Piémont, à un certain niveau, il ne pouvait pas le laisser déchoie, et qu’après avoir suscité toutes les ardeurs, les espérances, même les impatiences nationales, il ne pouvait plus laisser s’éteindre ce feu dont il avait besoin. Aussi, à peine revenu à Turin après le congrès de Paris, commençait-il à se préoccuper d’imprimer un élan nouveau, de mettre le Piémont en mesure de soutenir son rôle de petite puissance aspirant à devenir grande. Alere flammam était sa devise ! Il fallait marcher, faire quelque chose, montrer partout présente et agissante cette hégémonie piémontaise qui avait à se manifester sous toutes les formes. En moins de deux ans, Cavour multipliait les entreprises ou les projets, les fortifications d’Alexandrie, la création d’un grand arsenal maritime à la Spezzia, le percement du Mont-Cenis, au risque de paraître dépasser la mesure et les forces d’un petit peuple par une politique d’action morale ou de préparation militaire qui engageait gravement les finances, qui exigeait nécessairement de nouveaux, emprunts.

La fortification d’Alexandrie et surtout la souscription, des cent