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d’origine que cette protestation contre l’annexion allemande, le premier acte de leur politique dans le Reichstag allemand. » Ne sent-on pas bien dans ces quelques lignes le dépit, la sourde irritation d’être réduit à s’avouer que depuis cinq ou six ans, dans ces nobles provinces, la germanisation n’a point avancé d’un pas, et que le souvenir de la patrie française y survit encore dans tous les cœurs ? Cette ténacité du souvenir, voici dans le manuel même, tout à point pour l’expliquer, un mot bien caractéristique et qui nous venge de toutes railleries, c’est que « tout ce que les Français ont accompli de grand dans le domaine des sciences ou des arts, a toujours eu pour résultat le progrès de l’intelligence en général et non pas seulement celui de l’esprit français en particulier. » Le lecteur n’apprendra pas sans intérêt que la parole tombe de haut, puisqu’elle est de M. de Roon, auteur d’un manuel de géographie classique en Allemagne, et depuis ministre de la guerre[1]. Je fais peut-être erreur et j’interprète certainement à faux, mais il me semble qu’on nous donnerait à choisir la formule d’éloge qui nous flatterait le plus, vraiment nous n’en voudrions pas d’autre, et nous l’estimerions au-dessus de toutes les métaphores usées dont la vanité de nos voisins à son tour est si prodigue et leur langue si libérale, toutes les fois qu’il s’agit de faire un parallèle de nos défauts et de leurs vertus.

Pourquoi n’ajouterais-je pas que, dans l’amertume présente, il y a quelque plaisir à songer que, si les Allemands connaissent si bien nos défauts, c’est que nous avons en tout temps fait gloire et parade, pour ainsi dire, de les avouer et de les railler, quelque joie maligne à considérer que, s’ils connaissent si bien leurs qualités, c’est que nous avons fait jeu, depuis Mme de Staël, de les proclamer et de les honorer jusqu’à satiété des amours-propres germaniques. Aujourd’hui même, ouvrez nos livres de géographie : vous n’y trouverez pas un seul mot d’injure, à peine un témoignage de rancune : on vient de voir ce qu’ils enseignent de nous à la jeunesse de leurs écoles, et je n’ai pas tout cité. Le premier mouvement était de rire, le second est de réfléchir et de comparer. On pardonne d’abord quelque chose à l’enivrement du triomphe : il y a un apprentissage de la gloire, et ce n’est pas une petite affaire que de savoir porter sa fortune. Surtout on rejette bien loin la pensée d’accuser tout un grand peuple de la maladresse ou de la perfidie de quelques-uns. On sait que de tout temps il s’est trouvé de l’autre côté du Rhin des hommes d’esprit et de sens pour moquer l’appétit des mangeurs de Français. On refuse d’admettre que la rancune des vainqueurs puisse durer au-delà des rancunes du vaincu. Pourtant

  1. C’est ici un curieux exemple des préoccupations pratiques de la science allemande. On y traite l’Ethnographie comme Introduction à la géographie politique. Voyez Peschel, Völkerkunde. 1876.