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justesse que d’habileté l’action qu’elle doit avoir. Son rôle, et M. le ministre des affaires étrangères y met certainement tout son zèle, est de conseiller « l’entente, le concert, l’accord entre toutes les puissances. » Ménager un rapprochement désirable entre l’Angleterre et les autres cabinets, chercher les points où l’on peut s’entendre, préparer une réunion plus générale de l’Europe, tout le rôle de la France est là, et il ne peut être que là. Si le cabinet français, pour lui, a dès le premier moment adhéré au mémorandum de Berlin, il a prudemment agi, car c’eût été un autre danger de paraître opposer une délibération restreinte du midi à la délibération restreinte du nord, de montrer l’Europe partagée en deux camps. Il n’a point sanctionné telle ou telle combinaison, il n’a pas choisi un drapeau, il a accepté un principe, la nécessité d’une action diplomatique pacificatrice, et il s’est assuré ainsi une position de neutralité, de médiation utile, dans tous les cas désintéressée, puisque évidemment aujourd’hui la France n’a point à s’engager dans des événemens qu’elle n’appelle pas, qu’elle n’est pas chargée de suivre. Elle travaille à la paix pour elle-même et pour tous. M. le duc Decazes ne désespérait pas hier encore de réussir dans ses efforts persévérans en faveur de cette politique ; mais quelle influence vont avoir maintenant sur l’action diplomatique de l’Europe comme sur la situation intérieure de la Turquie les événemens nouveaux qui s’accomplissent à Constantinople ?

Voici en effet qu’en quelques heures, dans une des dernières nuits, le sultan Abdul-Azis a disparu de la scène par un coup de théâtre ; il a été renversé très pacifiquement sans se défendre et sans être défendu, il est tombé sous le poids des difficultés et des complications amassées, aggravées par sa lourde et nonchalante imprévoyance. Son successeur est le prince Mourad, un fils du dernier sultan Abdul-Medjid, qui était héritier présomptif selon tes lois musulmanes, mais qu’Abdul-Azis aurait voulu évincer au profit de son propre fils. Mourad est, dit-on, un prince à l’esprit ouvert, au courant des choses de l’Europe, favorable à une politique nouvelle, et il était naturellement l’espoir de tous les adversaires du régime qui vient de tomber, de cette classe lettrée et agitée des softas qui a conspiré pour lui. Le nouveau grand-vizir, Midhat-Pacha, qui a été visiblement l’âme de la conspiration, compte au premier rang des politiques réformateurs de la Turquie ; c’est un changement de règne, sans doute un changement de système. Il reste à savoir jusqu’à quel point et dans quelle mesure cette révolution, qui n’a eu rien de violent, qui paraît avoir été accueillie avec faveur à Constantinople et dans d’autres parties de l’empire, va modifier la direction intérieure de la Turquie et faciliter l’œuvre diplomatique de l’Europe en Orient. Heureux ou malheureux, c’est l’imprévu qui commence par une révolution de sérail dans les affaires orientales. Le nouveau sultan va-t-il être immédiatement reconnu par les grandes cours européennes ? Les