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mer vers le nord demeure navigable, nous pouvons arriver aux îles par une route qui nous fera gagner. 2,000 lieues au moins sur les Portugais, plus de 3,000 sur les Espagnols[1]. On a dit, il est vrai, qu’au-dessus de la septième zone, la mer n’était que glace, le froid impossible à supporter. Ne disait-on pas également que sous la ligne la chaleur était telle qu’aucun être humain n’était capable d’y vivre ? Nulle zone n’offre, au contraire, meilleure température, climat plus délicieux. Nihil fit vacuum in rerum naturâ. Aucune terre n’est inhabitable, aucune mer n’existe qu’on n’y puisse naviguer, »

Sébastien Cabot était loin de nourrir en 1548 les illusions qui pouvaient trouver encore un si facile accès auprès de Robert Thorne en l’an 1527. Quelque horreur que pût avoir la nature pour les créations inutiles, Cabot savait parfaitement, par sa propre expérience, par celle de Cortereal et d’Estevan Gomez, qu’il était de vastes bassins où la Providence ne nous avait pas ménagé la faculté de pénétrer. Il n’en songeait pas moins à réaliser le projet accueilli à deux reprises différentes par Henry VIII, car après vingt années d’absence, la lecture de Pline et de Cornélius Nepos le ramenait convaincu qu’on devait trouver au nord-est ce qu’on avait jusqu’alors inutilement cherché au nord-ouest. La mer qui baigne les côtes de Tartarie n’était pas seulement, si l’on en croyait le vieux cosmographe, navigable ; au temps des anciens, on y avait navigué. Comment, si l’Océan scythique n’eût été en communication directe avec la mer des Indes, le roi des Suèves aurait-il pu jadis adresser à un proconsul des Gaules « des Indiens que la tempête avait jetés, avec leur navire et leurs marchandises, sur les côtes de la Germanie ? » Ces naufragés ne venaient pas évidemment de l’Afrique. Ils auraient dans ce cas rencontré sur leur route les îles du Cap-Vert, les Canaries, les côtes d’Espagne, la France, l’Angleterre ou l’Irlande. Ils ne pouvaient pas davantage venir de l’occident. Les peuples du Nouveau-Monde, lorsque Colomb mit le premier le pied sur leurs rivages, semblèrent considérer les navires espagnols comme des objets étranges, les Espagnols eux-mêmes comme des êtres tombés du ciel ; il était donc impossible d’admettre que ces peuples naïfs se fussent jamais livrés au moindre essai de commerce maritime. Les naufragés offerts à Quintus Metellus n’avaient pu arriver que les contrées situées à l’orient du promontoire extrême qui termine au sein des mers hyperboréennes le grand continent de l’Asie. La tempête avait emporté cette épave, à travers l’océan des Scythes, jusqu’aux plages où le roi des Suèves s’était trouvé

  1. La route des Espagnols était en réalité d’environ 6,000 Houes, celle des Portugais de 4,000. Par le nord-ouest, il eût fallu faire, pour aller d’Angleterre en Chine, 3,000 lieues, — 2,100 pour accomplir le même trajet par le nord-est.