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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/773

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prêt à la recueillir. Pourquoi le chemin que ces Indiens avaient sans doute suivi ne conduirait-il pas d’autres navigateurs aux lieux d’où la barque égarée était involontairement venue ? Il suffisait de reprendre la même route dans le sens opposée

Si l’on met en regard la mappemonde de Martin Behaim et le planisphère de Sébastien Cabot, on verra d’un coup d’œil quel prodigieux chemin avait fait la science géographique dans le court espace de temps qui sépare l’année 1492 de l’année 1544. Le contour général des deux grands continens n’a plus rien qui nous fasse sourire. L’Afrique et l’Inde, le Cathay, le Japon, l’Amérique jusqu’au détroit de Magellan, sont connus ; mais, dès qu’on jette les yeux sur la partie septentrionale de notre hémisphère, dès qu’on veut s’avancer de ce côté au-delà du 53e degré de latitude, on s’arrête étonné. Comment s’expliquer que la cosmographie du XVIe siècle ait pu rassembler des notions si exactes sur les portions les plus récemment découvertes du globe, quand elle en est réduite à tracer encore les rivages de la Baltique, les côtes de la Norvège, sur la foi des huit livres et des vingt-six tables de Ptolémée ? C’est qu’au-delà du 53e degré commence le domaine de la ligue anséatique. Le port de l’Écluse sur la côte de Flandre, celui d’Anvers à l’embouchure de l’Escaut, — nous l’avons déjà signalé, — marquèrent pendant toute la durée du moyen âge l’extrême limite que s’étaient engagées à ne jamais franchir les escadres marchandes de Venise. Les autres nations se hasardaient parfois à empiéter sur la zone que s’étaient réservée les anséates ; elles n’y pénétraient jamais sans combat, et ce fut en vain qu’en l’année 1437 les Hollandais arborèrent en tête de leurs mâts un balai pour faire connaître au monde qu’ils venaient de purger la mer de ses tyrans. La Baltique n’en resta pas moins aux osterlingues, comme l’Adriatique aux doges. L’état des connaissances géographiques résultait en 1544 de ce double et jaloux privilège. Les Italiens, observant soigneusement le gisement des côtes, comptant leurs pas, notant dans chaque direction leurs routes, avaient pu tracer dès l’année 1497 d’excellens portulans. De Venise à Bruges, on trouverait encore une sécurité relative à se laisser guider par Freduci d’Ancône. Il faudrait se garder de suivre Sébastien Cabot, — à travers l’Oceanus germanicus et le Pontus Balceatus, — sur les côtes du Denmarca, de la Norvegia, de la Scandia et de la Finmarchia.

Les Allemands, les Danois, les Flamands, les pêcheurs du nord de l’Ecosse, sont les seuls marins qui aient encore fréquenté ces parages. Sébastien Cabot gagnerait peu à les consulter. « Ces gens-là » n’ont pas cessé de mériter la dédaigneuse exclamation du prince Henri : « ils n’entendent rien à l’emploi des cartes marines et de la boussole. » Un point lumineux ne laisse pas cependant de briller à