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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/780

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heureux voyage, il vous appartiendra de le récompenser suivant ses mérites. »

On possédait quelques renseignemens sur le Cathay ; on n’en avait pas sur le pays des Scythes, sur les régions glacées qui devaient border la nouvelle route. Seul, en 1529, un Portugais nommé Damien de Goës avait poussé à travers les Flandres, le Danemark, la Gothie, la Norvège, jusqu’au 70e degré de latitude nord. Quelques membres du conseil se souvinrent qu’il existait dans les écuries du roi deux palefreniers tartares dont un interprète s’offrait à traduire les paroles. On les fit comparaître et l’on tenta de les interroger sur les conditions politiques de leur contrée natale, sur les mœurs et les goûts des habitans. Il fut impossible d’obtenir de ces êtres à demi sauvages le moindre éclaircissement. Comme l’un d’eux l’avouait avec ingénuité, « ils s’étaient toujours beaucoup plus occupés de vider des pots que d’étudier la constitution des états ou les dispositions morales des peuples. »

Dans les premiers jours de mai, Sébastien Cabot remit à Willoughby ses instructions : il lui recommandait de faire quotidiennement inscrire « par les marchands et autres personnes habiles en écriture, la navigation du jour et de la nuit. » Ainsi fut institué, pour la première fois, dans cette occasion mémorable, « le journal de bord. » Sur ce journal, on devait noter les terres en vue, les observations de courans, l’état de l’atmosphère, les hauteurs du soleil, le cours de la lune et des étoiles. Une fois par semaine, le capitaine-général assemblerait les maîtres et les pilotes. On comparerait les divers journaux, et s’il y avait discordance, on arrêterait, après un sérieux débat, la conclusion qui devrait être inscrite sur le grand livre commun à toute la flotte. Ce livre deviendrait le mémorial de la compagnie.

Passant à un autre ordres d’idées, Cabot faisait appel à sa propre expérience pour guider Willoughby au milieu des épreuves dont Henry Sidney avait décrit avec une généreuse émotion les dangers. « Il ne sera nullement nécessaire, lui disait-il, que vous fassiez devant les nations étrangères l’éclatante confession de votre foi religieuse. Mieux vaudra passer ce sujet sous silence, et vous conformer aux coutumes des pays où vous aborderez. Si vous pouvez attirer quelque habitant à bord, pour obtenir de lui des renseignemens, usez de persuasion plutôt que de violence. La bière et le vin peuvent, mieux que les menaces, faire sortir les secrets des cœurs. Ne provoquez pas les peuples que vous rencontrerez par des marques de dédain ou par des railleries. Agissez toujours avec circonspection et ne vous arrêtez pas longtemps au même endroit. Si vous voyez des gens occupés à ramasser des cailloux sur la plage, faites approcher doucement vos embarcations afin de vous assurer si ce ne