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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/785

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navire, se sont rangés sur La poupes. Eux aussi, par leurs cris, par leurs gestes, ils envoient au jeune souverain, espoir de ce pays que Rome et l’Espagne en secret menacent, un dernier adieu. Ce sont, hélas ! des condamnés à mort qui s’inclinent devant un mourant. « Le bon roi Edouard, » en l’honneur de qui toute cette cérémonie était préparée, ne se trouvait pas là pour en jouir. Une cruelle maladie le retenait confiné dans sa chambre, et, peu de temps après ce départ triomphal, le lamentable accident de sa mort avait lieu[1].

Pour gagner le mouillage d’Harwich en dehors des bancs de la Tamise, c’est-à-dire pour parcourir une distance de 65 milles environ, les vaisseaux n’employèrent pas moins de dix-huit jours. Ils passèrent successivement devant Blackwall, Woolwich, Erith, Gravesend, Tilbury, Hole-haven, Leigh, Saint-Osyth, Naze, s’arrêtant sur presque tous les points avant d’aller jeter l’ancre à l’embouchure de l’Orwell. C’est de ce mouillage qu’après avoir assemblé le conseil et délibéré longuement sur la route à suivre, Willoughby et Chancelor voulurent prendre, le 29 mai 1553, leur élan, vers les mers polaires. Plus d’un regard, ce jour-là, se reporta involontairement en arrière, plus d’un œil se voila de larmes ; mais l’émotion n’exclut pas les résolutions fermes, et les Anglais partaient bien décidés à mener leurs navires jusqu’en Chine. Ils n’allèrent pas cependant cette fois plus loin que Yarmouth ; un vent violent de nord-est les rejeta vers le sud, et le 23 juin ils étaient encore mouillés devant Orfordness. Enfin une belle brise de sud-ouest s’éleva, l’escadre mit sous voiles, la terre natale disparut à l’horizon. Le 27 juin, Chancelor se supposait à 42 lieues environ dans le sud-sud-est de la côte d’Ecosse. Il avait l’intention de la reconnaître et de rectifier ainsi son estime, mais le vent, en tournant insensiblement à l’ouest, la loi fit manquer. Au vent d’ouest succédèrent des brises incertaines et variables. L’escadre « traversant et croisant dans tous les sens la mer, » gouvernant tantôt au nord-ouest et tantôt au sud-est, erra, sans voir autre chose que le ciel et l’eau, du 27 juin au 14 juillet ; l’astrolabe indiquait 66 degrés environ de latitude. Le lu juillet, la terre se montra enfin à l’orient ; les vaisseaux tournèrent sur-le-champ la proue de ce côté. Une chaîne de petites îles en quantité innombrable semblait défendre l’accès du continent. Le vaisseau-amiral mit sa chaloupe à la mer et l’envoya explorer ce pays inconnu. Le planisphère de Sébastien Cabot devenait déjà d’un faible secours. L’embarcation poussa jusqu’à terre-Une trentaine de huttes, mais nul habitant, voilà tout ce que les matelots débarqués parvinrent à découvrir. les pilotes estimaient

  1. Dans la seizième année de son âge et la septième de son règne.