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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/790

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avoir jeté l’ancre à 2 lieues de terre par un fond de 60 brasses, Willoughby envoie son canot explorer la côte.

Le canot revient : il a trouvé « deux ou trois bons ports, » nul être humain pourtant ne s’est encore montré. L’escadre reprend la mer. Elle cherche des conseils, du combustible, des vivres. Après deux jours de lutte, il lui faut se résigner à revenir sur ses pas. Le vent d’ouest reporte en quelques heures les Anglais au point qu’ils ont quitté le 15 septembre. Le 18, Willoughby entre dans le port ; il y mouille sur un fond de 6 brasses. Le havre qu’il a choisi s’enfonce de 2 lieues environ dans les terres. Pas de Scythes, il est vrai, mais des veaux marins et « d’autres grands poissons » en abondance, des ours, des renards, des rennes, des animaux étranges, des êtres aussi merveilleux qu’inconnus.

La fortune des hommes de mer s’incline sous le moindre souffle qui vient de l’horizon. Willoughby devait aux vents d’ouest la découverte de la Nouvelle-Zemble. Ces mêmes vents décidaient de son sort et lui fermaient à jamais l’accès de l’Angleterre, en le retenant à 65 lieues à peine de Varduus. Le havre dans lequel l’escadre se réfugiait n’était autre que l’entrée de la Varsina[1], située par 68° 21′ de latitude nord — 36° 7′ de longitude à l’est du méridien de Paris. Willoughby n’avait voulu chercher qu’un abri temporaire ; la rigueur de la saison l’enchaîna par malheur à ce fatal mouillage. Neige, grêle, verglas, tout se réunissait pour le dissuader d’aller braver de nouveau la tempête au large. Après une semaine d’hésitation, il prit son parti et les deux bâtimens se disposèrent à passer l’hiver sous un climat dont nul Européen n’avait encore affronté les rigueurs.

Abandonnons un instant à la solitude qui les environne la Speranza et la Confidentia. Une heureuse séparation a préservé l’Édouard-Bonaventure d’une communauté de fortune qui n’eût été probablement qu’une communauté de désastre. L’Édouard-Bonaventure a désormais sa destinée distincte, et cette destinée est de découvrir l’empire russe.


E. JURIEN DE LA GRAVIÈRE.

  1. La rivière Varsina tombe dans la partie occidentale du golfe de Nokonevski. L’embouchure en est assez large et forme une espèce de baie au milieu de laquelle on trouve de 30 à 10 mètres, fond de roche. Dans la rivière même, il n’y a aujourd’hui que 4 pieds d’eau à marée basse ; mais la montée du flot sur la barre est de 3 mètres. Les lodias (barques du pays) entrent dans cette rivière à mer haute et vont s’échouer sur la rive gauche dans une petite anse à l’abri de tous les vents. Sur la rive droite, à 1 kilomètre de l’embouchure de la rivière, se trouve un village d’été que viennent habiter les Lapons de la paroisse des Sept-Iles. En hiver, ces mêmes Lapons vivent à 100 kilomètres de la côte, près des lacs d’où sort, suivant eux, la Varsina. Ils sont au nombre de vingt-cinq chefs de famille.