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douloureuses inquiétudes non-seulement pour les destinées de l’Amérique, mais pour l’avenir du monde civilisé. Depuis des siècles nos guerres, nos luttes, nos rivalités, étaient entre frères, qui se disputaient l’héritage commun de leur famille ; c’étaient des guerres, de Jacob contre Ésaü, ce n’étaient pas des guerres d’Ismaël contre Isaac. Mais voici qu’aujourd’hui d’innombrables enfans de la servante Agar, non plus seulement bâtards de notre sang, mais étrangers à notre race, hommes appartenant en toute vérité à d’autres humanités, viennent frapper à nos portes et s’établissent sur le sol que nous considérions comme le patrimoine de nos descendans. Bien des signes alarmans nous avertissent que la sécurité dans laquelle noire race était endormie depuis quatre cents ans est désormais trompeuse, et que l’heure approche rapidement où recommenceront, et cette fois sur une échelle gigantesque et pour des mêlées apocalyptiques, les anciennes émigrations des peuples et les brutales invasions barbares. Voici que l’Afrique, arrachée de ses fondemens par les crimes de notre race et la vieille Asie, tirée de sa réclusion par notre turbulente activité, se sont abattues sur nos continens pour en faire pâture, en attendant qu’elles en fassent proie. Les gigantesques fourmilières de l’extrême orient, démesurément accrues dans le silence des longs siècles, laissent tomber de leurs sommets et de leurs flancs leurs grappes humaines qu’elles sont désormais impuissantes à retenir. Qui nous assure que les fourmilières mêmes ne s’écrouleront pas demain, et si elles s’écroulent, où rouleront les débris ? qu’entraîneront-ils dans leur déplacement ? quelles nations écraseront-ils sous leurs masses, quels peuples refouleront-ils sous leur nombre, et qui nous garantit que, gagnant de proche en proche, l’inondation ne refluera pas jusqu’à nous ? Et ce n’est pas seulement en Asie et en Amérique que de menaçans pronostics nous invitent à la vigilance ; entendez-vous à l’Orient de notre Europe ces craquemens prolongés et comme obstinés ? Là la dernière invasion, s’arrêtant il y a quatre siècles, s’était fixée et avait fait digue contre les invasions futures. Une fois la digue rompue, les flots seront rendus à leur liberté, et alors quel sera leur cours, quels marais malfaisans formeront-ils, quelles mers intérieures se creuseront-ils ? Voilà le troisième mot que la destinée écrit sur le mur de notre race, pour employer l’expression de M. Dixon. Pharès.


EMILE MONTEGUT.