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Douai, qui comprend les départemens du Nord et du Pas-de-Calais, on ne trouve que 1 accusé sur 14,696 habitans ? Combien d’autres régions où la balance appliquée aux délits est encore plus favorable aux pays de grande industrie que pour les crimes ! Faut-il en conclure que les villes, mêlées d’élémens dangereux et plus exposées aux tentations, ne commettent pas, dans le cas le plus ordinaire, plus de crimes que les populations rurales ? Non sans doute ; mais de tels faits suffisent pour exonérer le régime manufacturier et l’industrie en général du reproche qu’on lui adresse à titre spécial. En poussant le parallèle plus loin, on verrait dans ces grands centres plus de douceur habituelle, moins d’âpreté au gain et de ce genre d’attentats qu’engendre l’avarice. Les idées y ont plus d’étendue, les besoins y sont plus variés, les sympathies plus vives. Quel esprit de mutuelle assistance dans ces familles ouvrières où la gêne trouve encore moyen de venir en aide à la misère !

L’intempérance est un des principaux chapitres de l’état moral des classes ouvrières. Il n’y a pas lieu de l’imputer exclusivement à la manufacture, et on trouve que les villes de petite fabrique en sont peut-être encore plus infectées. L’ivrognerie est un vice du nord. Or c’est le nord que l’industrie développe aux dépens du midi, plus tempérant et plus paresseux. Il y a donc plutôt là un rapport de concomitance que de cause à effet. Supposez toute autre cause que l’industrie agglomérant les gens du nord : ils se livreront à des excès de boisson.

Il n’en faut pas moins reconnaître que ce vice est une des plaies des centres industriels. La Normandie, la Picardie, le Nord, nous donnent le triste spectacle de cette ivrognerie tournée aujourd’hui vers l’alcoolisme. La morale, l’économie politique, la science médicale, rivalisent ici de plaintes, d’inquiétudes pour l’avenir. Ce vice funeste détruit plus profondément que tout autre l’énergie, les forces intellectuelles et physiques de nos travailleurs. Non moins fatal à la famille, il en épuise les ressources, en abolit la bonne influence par des exemples contagieux qui ont gagné jusqu’à la femme et l’enfant, et en compromet l’existence même par une hérédité de mieux en mieux observée. Maintenant, la part faite à l’action que peut exercer sur ces tristes habitudes l’agglomération urbaine par l’exemple, la camaraderie, comment ne pas ajouter qu’on les voit régner dans des provinces médiocrement industrieuses, comme la Bretagne, où l’on ne peut dire cette fois que le frein religieux manque ? On ne sait que. trop que ces populations, en général honnêtes et qui regardent le vol comme un péché grave, ne paraissent pas se faire la même idée de l’ivrognerie. La vertu a besoin, quoi qu’on en ait paru dire, d’autres garans que la fidélité traditionnelle au rouet et au fuseau.