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La manufacture, dans l’industrie du coton et aussi de la laine, j’indique celle-ci par anticipation sur ce point si grave, a quelquefois combattu ce vice corps à corps. M. Louis Reybaud confirme à ce sujet la persistance heureuse d’exemples déjà anciens, comme Sedan, où les fabricans ont triomphé de l’ivrognerie, autrefois régnante et aujourd’hui devenue extrêmement rare, non-seulement par un système disciplinaire qui n’a pas été sans efficacité, mais par des moyens bien plus décisifs, les mœurs, la création d’habitations qui permettent la vie de famille. Ainsi, employant plus en grand des moyens encore plus ingénieux, Mulhouse avait réduit dans une proportion notable le nombre des ivrognes. On a obtenu des résultats analogues dans d’autres manufactures. Il faut rendre justice aussi, avec l’auteur de l’enquête, aux résultats souvent favorables à cet égard dus aux sociétés de consommation.

Les mêmes résultats se dégageraient au sujet de la débauche, envisagée comme un fait tombant sous la statistique. Est-ce à dire qu’on doive atténuer les facilités qu’a offertes au libertinage le rapprochement des sexes au sein de l’atelier ? Mais que l’on compare les villes manufacturières avec les autres villes industrielles, où le travail est morcelé. Il n’en faudrait pas juger par des centres comme Manchester, dont l’enquête nous fait la plus lamentable peinture. Si cela se passait habituellement comme dans ce grand foyer de la fabrication du coton, nous serions tenté de donner gain de cause aux censeurs de la manufacture. C’est le libertinage enrégimenté. Comment dans ce cas particulier ne pas mettre en cause la police, qui laisse s’étaler en pleine rue de tels scandales ? Comment ne pas invoquer jusqu’à un certain point la responsabilité des manufacturiers ? Nous ne croyons pas, pour nous, qu’il leur soit permis de se désintéresser à ce point de désordres aussi patens. Comment ! la prostitution s’offre presqu’à la porte de leurs établissemens, et il leur serait possible d’ignorer que ces créatures sont celles dont la vie se passe chez eux et dont le travail aide à leur fortune ! N’est-ce, pas une pure ironie que de décorer de telles turpitudes du beau nom de liberté individuelle ? M. Reybaud le constate : le vice se dérobe dans celles de nos cités qui ont la pire réputation à cet égard, et il est très loin de se produire dans des proportions analogues. Il y a de plus à tenir mieux compte de certaines circonstances négligées ou mal interprétées. On se tromperait en prenant pour mesure de l’immoralité les unions illégitimes et les naissances hors mariage. Très souvent ces unions, si blâmables qu’elles soient, ont un caractère de quasi-régularité et de durée qu’en bon nombre de cas la loi finit par consacrer. Ce mode de vivre, on le reconnaît à regret, est celui de beaucoup d’ouvriers, même rangés, dans les villes manufacturières ; il faut ajouter que les lenteurs légales et